Portraitiste oculaire

V.

Portraitiste oculaire

Paris

V - Les Autodidactes
Credit: Nicolas Bistarelli

Artiste plasticienne, V., dessine des yeux depuis l’âge de six ans. Bonne élève, la conseillère d’orientation lui suggère de suivre un cursus d’ophtalmologie, mais c’est le stylisme qui la passionne. Elle commence un BTS Stylisme/Modélisme qu’elle ne termine pas, suite à un stage concluant, et travaille dans le milieu de la mode jusqu’à obtenir le poste de directrice artistique d’un atelier dans un grand magasin. Un douloureux évènement lui fait prendre conscience de sa voie professionnelle, la peinture. Aujourd’hui V., est portraitiste oculaire, elle nous raconte.

Hello V. Tu es peintre autodidacte et plus précisément portraitiste oculaire, on te laisse te présenter ? Quel est ton parcours ?

Hello les Autodidactes! Je suis V., portraitiste oculaire, je suis née à Nancy en 1992, mon métier est de capturer le regard des gens que je rencontre et d’en réaliser une toile, la plus précise possible afin que je retrouve le même sentiment qu’à la première rencontre. En ce qui concerne mon parcours, j’ai fait un bac L option Arts Plastiques, puis une MANAA (Mise À Niveau en Arts Appliqués) à Nancy. Je suis partie à Paris avec un deuxième prêt sur le dos, pour faire une école de de Stylisme/Modélisme. J’ai suivi six mois de cours jusqu’à avoir une opportunité de stage en Haute-Couture. Après cette expérience, je me suis lancée en freelance en tant que Styliste/Graphiste, j’avais 20 ans. J’ai travaillé en indépendant environ quatre ans jusqu’à être embauchée en tant que directrice artistique d’un atelier dans un grand magasin. Après deux ans à un rythme effréné sans vacances cumulé aux quatre années précédentes à un rythme équivalent, j’ai fait un burnout, mon corps m’a lâché littéralement. J’ai eu une longue convalescence et j’avais ce vieux projet en tête de peindre les yeux des gens que j’avais rencontré dans ma vie, qui m’avaient apporté un peu d’eux-même avec la certitude que je n’aurais pas fait tout ça sans eux.

À quel niveau d’études t’es tu arrêtée ? Qu’est ce qui t’a poussée à être autodidacte dans le milieu de la peinture ?

Je me suis arrêtée à la première année de BTS en Stylisme/Modélisme. Je suis partie à ce moment là parce que je venais de faire un stage en Haute-Couture qui m’avait énormément apportée et j’étais dans le vif du sujet. Pendant ces quelques mois, j’ai vraiment fait le métier dont j’avais rêvé et comme je l’avais imaginé, lorsque je suis retournée à l’école je me sentais en décalage avec l’enseignement qui n’était pas aussi stimulant que ce que je venais de vivre. Il faut aussi noter que ces écoles privées coûtent très cher, et ayant financé par des prêts étudiants l’année de MANAA et l’année de Stylisme, ma seule solution pour continuer mes études était l’alternance qui est malheureusement très mal gérée dans ce milieu, quasiment impossible… Je suis donc déjà considérée comme autodidacte dans la mode, puisque je n’ai suivi qu’une année de cours, je n’ai pas de diplômes et pourtant j’ai eu un poste de direction artistique à l’âge de 24 ans. Dans mon esprit, si j’ai réussi à avoir une chance dans un milieu si fermé que la mode, pourquoi pas l’Art? D’autant plus qu’il y a énormément de reconversion dans l’Art donc le niveau d’études importe peu… Il y a de la place pour tout le monde, il suffit juste de se frayer un chemin.

Quels sont les aspects positifs et négatifs que tu rencontres dans ton parcours, en tant qu’autodidacte ?

En toute honnêteté, je n’ai pas de points négatifs à vous énoncer. Un autodidacte n’a pas froid aux yeux, il choisit une voie et il va jusqu’au bout, tout simplement parce qu’il est libre, il ne porte pas sur le dos, le poids de ce que ses études ont coûté à ses parents. Dans certains domaines, l’école est indispensable, mais dans les milieux artistiques, pas vraiment. Il y a de grands noms de la mode qui n’ont pas fait d’études, ou plus tard pour se perfectionner, je pense à Yves Saint-Laurent, Karl Lagerfeld, Thierry Mugler, Alexander Mc Queen, Jean-Paul Gaultier et bien d’autres…Dans l’ART c’est encore pire! Enormément de grands artistes sont autodidactes, peindre, sculpter, croquer, photographier c’est presque instinctif pour certains. Aux Beaux Arts, ou autres grandes écoles d’Art, il est enseigné une technique et l’histoire de l’Art mais il est possible d’acquérir ces connaissances sans école. La majorité des artistes que je côtoie n’ont pas fait d’études artistiques ou alors dans un domaine dérivé pour rassurer les parents certainement.

Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à ne pas faire d’école d’art « reconnue »?

L’école d’Art est présente pour donner les clés aux étudiants afin qu’ils construisent par eux-mêmes leur univers artistique comme un têtard jeté à l’eau. Malheureusement, l’identité de l’école prend souvent le pas sur celle de l’étudiant. Je pense que les grandes écoles d’Art formatent leurs élèves vers une ligne directrice, d’ailleurs, un graphiste me disait que lorsqu’il reçoit les books d’étudiants aux Beaux Arts d’une ville de province, il sait avant même d’avoir regardé le C.V en quelle année cet élève est passé dans cette école. Pour chaque promotion, il y a un thème qui est abordé en profondeur et chaque étudiant est imprégné de cette forte inspiration dans son book. Le formatage est point négatif selon moi. Le point positif c’est le répertoire de contacts de l’école, c’est-à-dire qu’un étudiant diplômé d’une grande école d’Art aura des portes ouvertes pour exposer dans des centres d’Art, ce sera plus compliqué pour un autodidacte, pas impossible mais plus long.

Y a-t-il eu un événement marquant / un déclic / l’aide d’une personne (…), qui t’a permis de te lancer dans ce que tu fais aujourd’hui ?

Pour mon expérience personnelle, le déclic a été le burnout, puisque c’est l’interruption relativement violente d’une activité. Je n’ai pas pu me mouvoir ni m’exprimer pendant environ un mois, ce qui amène à beaucoup de questions sur la vie, la place que l’on a dans celle-ci. J’avais besoin de me remémorer toutes les personnes qui m’avaient tendu la main pour que je vive toutes ces expériences incroyables dans la Mode. Donc, j’ai repris cette idée de peindre les yeux de ces personnes, en guise de remerciement. J’ai repris contact avec des professeurs, une directrice d’école, des gens que je n’avais pas vus depuis quinze ans, j’ai réalisé les photos et les toiles ou seulement les toiles si les personnes étaient à l’autre bout du monde. Ma démarche est très personnelle et intérieure mais à la fois tournée vers les autres, vers ceux qui avaient participé à leur manière à mon parcours.

En tant qu’autodidacte, est-ce que tu as la sensation de te lancer dans quelque chose de vertigineux/ambitieux, justement, pour palier au manque de diplômes ?

Je n’ai jamais ressenti le manque de diplôme, déjà parce que mon père est autodidacte également et il a récemment donné des cours dans une école comme intervenant, comme quoi, la roue tourne! Et aussi parce que j’étais en contact avec d’autres amis ou connaissances qui étaient en école et qui n’étaient pas du tout épanouis. Et lorsque je rencontre de nouvelles personnes, nous sommes amenées à en venir à mon parcours personnel, tout le monde est impressionné par mon jeune âge et le chemin parcouru. Je me suis effectivement lancée dans des projets vertigineux mais plus par un besoin d’être reconnue par mes ainés. Dans l’Art, il y a beaucoup d’autodidactes car poser ses tripes sur la table ce n’est pas intellectuel c’est émotionnel. Beaucoup de galeristes ont cessé de s’intéresser aux études des artistes mais à leurs parcours.

Est-ce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas pu faire à cause du manque de diplômes ?

Je n’ai vraiment jamais ressenti le manque de diplômes, une fois le premier stage en maison de Haute-Couture, le curriculum vitae s’ouvre et les expériences s’accumulent, je n’ai même pas assez de place pour toutes les écrire. Lorsque l’on est artiste, il y a un CV d’artiste, il faut donc tout reprendre à zéro et depuis le début de mon activité, c’est à dire un an, j’ai déjà plusieurs expositions à mon actif, tout reste à faire et c’est plutôt rassurant, une fois la page blanche passée, tout est à construire!

Enfant ou adolescente, étais tu déjà attirée par le métier que tu exerces maintenant ? Penses-tu que ce que tu as vécu dans ton enfance-adolescence t’a aidé à avoir ensuite un parcours atypique, sans diplôme, ou pas du tout ?

Avec le recul, je pense que j’ai toujours voulu être artiste, seulement annoncer à ses parents que l’on ne veut plus faire ophtalmologie mais Artiste c’était un peu dur donc j’ai choisi une voie intermédiaire qui était styliste, c’est un métier artistique où il est possible de travailler en tant qu’employé dans une société. C’est plus sage qu’artiste et certainement plus rassurant pour les parents. On se construit tous pendant l’enfance et l’adolescence, je dessinais déjà des yeux vers six ans, au lycée je dessinais les yeux de mes camarades de classe, il n’y avait pas un projet d’Art durant les trois années au lycée sans yeux. Donc évidemment quand j’ai annoncé à des amies du lycée, ce que j’entreprenais de faire, elles n’étaient pas du tout étonnées! Au contraire!

À l’école, est-ce que tu t’es sentie bien conseillée en terme d’orientation d’études ?

Alors là! PAS DU TOUT! Quand j’ai annoncé à la conseillère d’orientation de mon collège, que je voulais être styliste, donc me diriger vers une option artistique au lycée. Elle m’a répondu que c’était complètement bouché, que j’avais 16 de moyenne générale, que ce n’était pas assez pour espérer rentrer dans une section en Arts Appliqués. Elle m’a dit que je devrais faire ophtalmologue c’est plus sur, il y a de la demande. Je pense sincèrement que les conseillers d’orientation sont complètement à côté de la plaque, ils ne connaissent rien à ce qu’il se fait, ils dirigent très mal les jeunes, et encore plus les jeunes en difficultés dont je ne faisais pas partie heureusement. C’est extrêmement déstabilisant pour un adolescent d’être conseillé de cette manière devant ses parents. Je repense souvent à cette personne, j’aurais bien aimé la revoir et lui dire tout ce que j’ai pu faire dans ma vie déjà « dans ce milieu complètement bouché et fermé.»

Pour toi, comment sont vus les autodidactes en France ?

Il y a deux écoles, une partie est assez admirative de ces jeunes personnes qui se sont battues à contre courant pour aller au bout leurs rêves et une deuxième qui dénigre complètement ces personnes et qui ne voient que par les diplômes. En règle générale les autodidactes ne sont pas assez valorisés en France. Je ne me suis vraiment jamais sentie discréditée parce que je n’avais pas de diplômes, je ne ressens pas ce décalage, aussi parce que j’ai eu la chance et les opportunités de faire énormément de choses déjà...

Un mot de la fin ?

La vie nous réserve de belles surprises! Laissez-vous surprendre! Ouvrez l’Oeil!