Compositeur

David Gubitsch

Compositeur

Paris

David Gubitsch - Les Autodidactes

David est un compositeur de musique que nous aimons beaucoup. Contrairement à la plupart des gens interviewés ici, que nous n’avons pas tous côtoyés dans le travail, nous avons eu la chance de travailler avec lui. Il a eu la gentillesse de donner des compositions qu’il avait créées seul ou avec son groupe « Chkrrr » à Anaïs, lorsqu’elle montait son premier long-métrage « Heis (chroniques) », un travail musical qui l’a énormément aidé à monter son film et qui constitue aujourd’hui la BO du film. Une très belle collaboration, une générosité de David qui a beaucoup touché Anaïs. David est talentueux, plein de bon sens et de sensibilité. Autodidacte pur et dur qui a quitté le système scolaire à 16 ans. On peut dire que David est un VRAI artiste, qui n’a appris que sur le terrain, guidé par son ressenti et par 100% de talent. Un diamant brut comme on dit. Chanceux sont les réalisateurs-trices qui croisent son chemin, David a l’art de sublimer les images et les situations des films. Son témoignage compte. Son parcours force le respect.

Hello David, tu crées de la musique pour des films. Tu as également sorti un EP avec ton groupe, « Chkrrr ». Pourrais tu te présenter ? Quel est ton parcours?

Je suis compositeur : plutôt spécialisé dans la musique à l’image (pour le cinéma, la télé et le spectacle vivant...). J’ai un parcours musical assez simple : quelques années de piano (rien d’extraordinaire mais suffisant pour composer...) le tout combiné à l’utilisation de logiciels de composition depuis le milieu des années 90 (c’était en noir et blanc à l’époque ! (et ce n’est pas une blague !))

À quel niveau d’étude t’es tu arrêté ? Qu’est ce qui t’a poussé à être autodidacte dans le monde de la musique ?

Je pense qu’être autodidacte est rarement un choix et dans la musique encore moins. Néanmoins je baigne dans la musique depuis mon plus jeune âge (père musicien) et j’ai eu la chance de faire partie d’une chorale jazz d’enfants qui s’est produite sur quelques scènes assez mythiques :) L’école n’est pas mon meilleur souvenir : j’ai démissionné en seconde ! Mais j’ai eu la chance d’y passer mes dernières années dans un cursus “CHAM” (Classe à Horaires Aménagés Musique) ce qui l’air de rien est une des bases de mon réseau actuel. A la sortie de l’école, à 16 ans, j’ai bidouillé musicalement le temps d’avoir un déclic satisfaisant (un projet qui me plaise et qui tienne la route). En attendant je faisais du développement web pour payer les factures... En 2003, j’ai rencontré Valentin & Sylvain autour d’un projet de danse contemporaine, notre collaboration a signé le début du groupe “Chkrrr”.

Tu as l’air très autonome et indépendant dans ta manière de créer. Est ce que tu sens que c’est apprécié ou au contraire, pas toujours bien vu dans le milieu de la musique ou dans la post production des films (dans l’industrie du cinéma) ?

Le monde du cinéma est assez particulier... Il faut dire que je considère la musique à l’image comme une discipline à part. Un bon faiseur d’album n’est pas forcément un bon créateur de musique de film et vice-versa. Le compositeur est au service du film et doit savoir mettre son égo-artistique de côté. Une bonne musique de film n’est pas nécessairement une belle musique ! Concernant ma façon de faire, je crois qu’il s’agit à chaque fois d’une rencontre avec la ou le réal. Si on se comprend, la musique sera certainement bonne... sinon non.

Quels ont été les aspects positifs et les aspects négatifs que tu as pu rencontrer dans ton parcours, en tant qu’autodidacte ? Pour toi, quelles sont les qualités d’un autodidacte comparé à quelqu’un qui a suivi un parcours plus classique ?

Je crois que ce qui m’a le plus servi dans ce métier c’est justement mon approche non- académique. Chaque film est un défi et je crois que mes B.O. sont aussi différentes que les films dont elles sont issues. Par ailleurs, ce que j’aime c’est de travailler étroitement avec le reste de l’équipe sonore du film (montage son - sounddesign - mix) afin d’avoir une réflexion globale du son du film. C’est étonnamment pas très répandu en France et le cinéphile que je suis le constate trop régulièrement.

Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à ne pas avoir fait d’école dans ton domaine ? Est ce qu’il y a des écoles reconnues par l’Etat dans ton domaine, ou pas tant que ça ?

Globalement, je crois qu’il y a de plus en plus de classes de composition à l’image dans les conservatoires... Mais honnêtement, je ne sais pas exactement ce que l’on y apprend. Y apprend-t-on autant la technique de la musique à l’image que les relations que l’on développe avec l’équipe d’un film ? Tout ce qui se crée s’appuie comme dans la vie directement sur l’instinct et la complicité, seule l’expérience apporte ces clefs : pas certain qu’un diplôme forme à ça. Par ailleurs, les écoles de musique me semblent avoir un côté école de commerce dont l’esprit de compétition n’est vraiment pas pour moi.

Y a-t-il eu un événement marquant / un déclic / l’aide d’une personne (...), qui t’a permis de te lancer dans ce que tu fais aujourd’hui ?

J’ai fait mes armes quelques mois dans un studio d’enregistrement dédié à la pub. J’y ai beaucoup appris. J’y étais en stage avec tout ce que cela peut avoir de peu glamour dans ce métier. Mais j’ai appris énormément de choses sur le rapport à l’image, la réalisation en studio, le rapport aux créatifs, producteurs, interprètes... Un écosystème assez extrême mais très formateur. Après ça, avec Chkrrr, on a fait quelques courts métrages puis la signature chez un gros éditeur (Universal) a été une sorte de validation pour faire des longs métrages : notre travail n’était pas différent mais nous étions devenus crédibles !

En tant qu’autodidacte, est ce que tu as déjà eu la sensation de t’être lancé dans quelque chose de vertigineux/ambitieux, justement, pour palier au manque de diplômes ?

Ce n’est pas tant le manque de diplômes que la légitimité. J’ai souvent l’impression qu’un mec va me taper sur l’épaule et me demander de sortir : “Il faut pas rester là monsieur !”. Le complexe de l’imposteur. Mais avec le temps je me rends compte que nous sommes beaucoup dans ce cas... notamment chez les réalisateur-trices. Je trouve ça finalement très rassurant !

Est ce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas pu faire à cause du manque de diplômes ?

Pas que je sache :)

Enfant ou adolescent, étais tu déjà attiré par le métier que tu exerces maintenant ? Penses tu que ce que tu as vécu dans ton enfance-adolescence t’a aidé à avoir ensuite un parcours atypique, sans diplôme, ou pas du tout ?

D’après mes parents, j’ai formulé l’envie d’être musicien à 7 ans. A l’adolescence, c’était un peu plus compliqué... Mais finalement, c’est en quittant l’école que j’ai renoué avec la musique. Le piano était plus un outil pour la composition qu’une envie d’instrumentiste. J’aimais composer mes trucs... L’émergence de la musique assistée par ordinateur à l’époque m’ouvrait une voie plus intuitive, plus expérimentale que ce que m’offrait le conservatoire. Les classes de composition s’abordaient assez tardivement à l’époque (j’avoue ne pas trop savoir ce qu’il en est maintenant). Finalement, je pense que ce qui m’a le plus aidé, c’est d’avoir fait un métier “normal” quelque temps, avec un bureau et les horaires qui vont avec. Depuis, il n’y a pas un jour ou je ne mesure la chance que j’ai de faire mon métier.

À l’école, est ce que tu t’es senti bien conseillé en terme d’orientation d’études ?

Non. A l’école, j’avais des notes correctes mais je m’ennuyais... On me disait que l’important c’était le bac et que la musique était secondaire, même en CHAM, un comble, non ? À ce jour on ne m’a jamais demandé si j’avais mon bac ou un diplôme particulier pour faire mon métier.

Pour toi, comment sont vus les autodidactes en France ?

Au début, les mecs passés par des classes de composition me traitaient avec un certain mépris... Je n’écrivais pas toujours de la bonne manière. Pas assez sophistiqué. Mes arrangements et orchestrations n’étaient pas académiques... J’ai l’impression que les gens qui ont fait bouger les lignes sont souvent des gens qui n’étaient pas formés pour faire les choses “comme il faut”. Je suis un adepte de la sérendipité dans mon travail et ça vient souvent de cette approche autodidacte. J’aurais peut-être plus confiance en moi si j’avais les diplômes qui vont bien. Mais saurais-je faire différemment ? I did it myyyyy waaaaaaaay ! ;)

Un mot de la fin ?

Je suis père d’un fabuleux petit garçon de 6 ans (merveilleusement co-composé avec ma femme). Il subit déjà une pression incroyable à l’école pour rentrer dans le moule. Sa créativité est souvent niée sur l’autel de la bonne attitude. Quand je l’entends nous dire qu’il ne peut pas faire ci ou ça à l’école à cause du regard des autres (et pas seulement des enfants) je me dis qu’il reste beaucoup de boulot. Comme disait Steve : “Stay Hungry, Stay Foolish” :)