journaliste

Lucille Bellan

Journaliste

Lille / Paris

Lucile Bellan - Les Autodidactes

Lucile Bellan, on ne peut que la trouver cool de suite, elle est originale, singulière et son parcours est à l'image de sa ténacité. Plus jeune, elle commence des études de psychologie, sans succès, après un echec en première année. Mais la phrase "l'echec est une réussite en devenir" n'a pas été inventée pour rien ! Lucile déménage à Paris et se lance dans le journalisme sans faire d'école. Elle touche à tout, elle travaille pour la radio, écrit pour plusieurs magazines. Aujourd'hui, mère active de trois enfants, elle nous donne la sensation d'être une sacrée femme qui mène de front son travail et sa famille, en explorant toujours de nouvelles manières de raconter des histoires et de relayer des témoignages. Elle tient la rubrique "C'est Compliqué", pour le média Slate, un podcast 'du courrier du coeur moderne'. Un podcast à son image: sincère. Retour sur un parcours qui nous inspire et qui prouve, une fois de plus, que le diplôme n'a rien à voir là dedans.

Hello Lucile. Cela fait un moment que l’on voit passer, avec plaisir, tes podcasts sur Internet. Pourrais-tu nous raconter ton parcours ? Qu’est ce qui t’a amené à créer ton projet ?

Tout ça a commencé en juillet 2014. Johan Hufnagel a annoncé qu’il quittait son poste en tant que rédacteur en chef du site Slate, qu’il avait également co-fondé, pour devenir « numéro un bis » au journal Libération. Je suivais Johan depuis longtemps sur le réseau social Twitter, j’écrivais des critiques cinéma et j’avais envie de me pencher sur les sujets de société. Tout à fait sans arrière pensée, je lui ai envoyé un message pour lui souhaiter bon vent et lui dire que je regrettais que n’ayons pas collaboré ensemble à Slate (je me sentais plus capable de signer des articles pour Slate que pour Libération). On a échangé quelques messages et il m’a dit qu’il avait en réalité un projet pour moi. Il m’a expliqué le concept de Dear Prudence sur slate.com, une rubrique façon courrier des lecteurs mais qui permet, au final, d’avoir une sorte de vision globale de la société à travers les problématiques sentimentales et sexuelles des gens. Un projet sur mesure, vraiment. Nous avons fait des tests par mail pendant tout un week-end. Quand il a été content, il m’a dit de recontacter la nouvelle direction en septembre et c’est là que tout a commencé. Je n’ai jamais retravaillé avec Johan Hufnagel. Je ne suis même pas sûre que l’on puisse considérer que j’ai travaillé pour lui. Mais je suis devenue celle qui était en charge de la rubrique C’est Compliqué sur slate.fr 5 ans plus tard, cela représente plus de 200 articles (la chronique écrite est publiée chaque mardi). La chronique est devenue un podcast quand Christophe Carron a repris la rédaction en chef du site. En avril 2018, nous avons décidé ensemble de tenter l’aventure en audio. La saison 3 de ce podcast est déjà prévue pour septembre 2019. C’est Compliqué est aussi devenu un livre, qui sortira en juin aux éditions Leduc.s. Ce projet, s’il a tant grandi, c’est parce que je l’ai beaucoup nourri de ma propre expérience. Je rends toujours aux lecteurs et à ceux qui témoignent ce qu’ils me donnent. C’est le journalisme que je défends.

À quel niveau d’étude t’es tu arrêtée ? Qu’est-ce qui t’a poussée à être autodidacte dans le journalisme ? Les réseaux sociaux t’ont aidé à mener à bien tes projets ?

Après un bac littéraire option théâtre (changement de cursus total en terminale puisque j’avais commencé ma scolarité dans la filière scientifique en option sciences de l’ingénieur), j’ai commencé des études de psychologie à Tours. J’ai lamentablement raté ma première année et j’ai déménagé à Paris. Là, j’ai commencé à vivre et à écrire et l’idée de reprendre mes études s’est éloignée de jour en jour. Il y a eu quelques années de vaches (vraiment) maigres, d’autant plus que j’ai débarqué dans le milieu du journalisme quand les publications sur internet ne payaient pas vraiment leurs collaborateurs et collaboratrices. Mais c’est totalement l’émergence de ce média qui m’a permis de construire ma carrière.

Le monde du podcast, est il une nouvelle forme de journalisme ? Selon toi, comment est-il perçu par le monde plus classique du journalisme ?

Je crois, en effet, que le podcast est un nouveau mode d’expression pour les journalistes qui découvrent bien vite qu’à la radio la voie est souvent bouchée. J’ai commencé d’abord à parler de cinéma sur Radio Campus Paris avant de participer plutôt régulièrement à des débats (de cinéma également) dans une matinale sur Europe 1. J’ai toujours été à l’aise avec ma voix mais j’ai aussi toujours su qu’à la radio il y avait beaucoup d’appelés et peu d’élus. Le podcast m’a permis de revenir à mes premières amours. Et je crois qu’il permet aujourd’hui de voir de nouveaux talents émerger et s’épanouir. Je dois avouer que je ne sais pas ce que « le journalisme classique » en pense puisque j’ai principalement fait toute ma carrière, pour l’instant, sur internet. Et cette adaptabilité, cette audace, est totalement inhérente à la culture internet.

Tu es également journaliste cinéma, tu travailles aussi pour Femme Actuelle. Tu combines plusieurs styles de journalisme. Est ce que le fait d’être autodidacte, t’a permis justement cette grande liberté à ne jamais t’enfermer dans une seule sorte de journalisme ?

Être autodidacte m’a en effet permis de ne pas m’enfermer dans une case. Et d’avoir envie, toujours plus, d’apprendre le métier. J’ai besoin aujourd’hui de traiter des sujets de société sur slate.fr, de m’engager en tant que journaliste. Mais je considère aussi que le desk dans des rédactions comme Gala et Femme actuelle est une bonne école. Cela m’a appris à travailler vite et bien, à recouper mes sources, à faire attention, encore plus, à faire preuve de pédagogie sur certains sujets. Je pense que mon engagement, féministe en particulier, est aussi une qualité pour ces rédactions. Je sais que mon CV est probablement un peu bordélique mais je suis aujourd’hui une journaliste très adaptable qui maîtrise de nombreux outils et différentes formes de travail. Tout ce dont j’ai besoin pour travailler, c’est de passion. Je n’ai pas d’à priori sur les rédactions ou les projets.

Quels ont été les aspects positifs et les aspects négatifs que tu as pu rencontrer dans ton parcours, en tant qu’outsider ? Est ce que le chemin est plus long et lent que les autres ou pas forcément ?

Je crois qu’il a été plus long parce que j’ai vite eu un défaut de confiance, dû à mon absence de diplôme et au fait que je suis une femme. La confiance est très importante dans le milieu du journalisme. Il faut proposer ses sujets, être capable de les argumenter, de les « vendre », il faut « être » aussi, représenter quelque chose qui donnera envie au rédacteur en chef. Chez moi, c’est quelque chose qui est venu avec le temps.

Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à ne pas avoir fait d’école de journalisme, dans la manière de travailler les sujets d’actualité/les thèmes sociétaux ?

J’ai eu la chance, je pense, de n’avoir jamais souffert du formatage. Je n’ai jamais eu de copies à rendre, de projets à présenter à des professeurs et pour lesquels on m’aurait mis une note. Dans un sens, tout mon travail s’est toujours nourri de ce que j’avais expérimenté, vu, lu, entendu. J’ai composé ma propre culture avec une soif encore plus pressante que je ne partais de rien. Je me forme constamment, je crois que c’est quelque chose qui vient de mon parcours d’autodidacte. Sur les sujets d’actualité, je n’ai peur de rien. On ne m’a jamais expliqué ce que les gens avaient envie/besoin de lire… alors j’écris ou je raconte principalement ce que j’aurais voulu lire ou entendre moi-même. Je suis mon propre mètre-étalon.

Par rapport à ceux qui sont sortis de grandes écoles, est-ce que tu t’es sentie en décalage, à un moment donné de ta vie, ou, au contraire, pas du tout ? Qu’ont de plus les élèves qui sortent des grandes écoles ?

Qu’ont de plus ceux qui sortent des écoles ? Ils se connaissent. Je n’ai pas de promotion, pas de réseau à la base, je n’ai jamais fait de stage, ce qui est quand même une bonne façon de se faire connaître. C’est ça qui m’a manqué. J’ai toujours eu le sentiment d’être une bête curieuse pour les jeunes diplômés… alors que moi j’enviais leur joli diplôme qui aurait fait plaisir à mes parents. Je ressens donc encore toujours un décalage mais je crois que je l’accepte de plus en plus. Mon parcours est unique, c’est comme ça.

Y a-t-il eu un événement marquant / un déclic / l’aide d’une personne (…), qui t’a permis de te lancer dans ce que tu fais aujourd’hui ?

J’ai eu la chance d’avoir été « découverte » plusieurs fois. Julien Welter m’a donné ma chance au micro à Radio Campus Paris. Johan Hufnagel m’a offert la chronique C’est Compliqué. Christophe Carron m’a donné la confiance suffisante pour toujours proposer et écrire les sujets qui me tenaient à coeur. Pourtant, je crois que je me suis toujours battue pour prouver que je valais la peine d’être entendue. Et chaque fois qu’on m’a fait confiance, j’ai cravaché comme deux ou trois personnes pour mériter le geste. J’ai toujours eu besoin d’écrire et de m’exprimer. Je ne venais de nulle part ou en tout cas pas de quelque part où ça se faisait. J’avais besoin que quelqu’un de l’intérieur vienne me dire « vas y »… j’ai eu la chance inouïe que ce soit arrivé.

En tant qu’autodidacte, est-ce que tu as déjà eu la sensation de t’être lancée dans quelque chose de vertigineux/ambitieux, justement, pour palier au manque de diplôme ?

Je suis une bête de travail au point de jouer avec ma propre santé. Ça c’est quelque chose de lié au fait d’être autodidacte. J’ai toujours besoin de me prouver que je peux faire les choses puisque j’ai peur que les autres, mieux préparés, sachent le faire mieux que moi. Je travaille énormément et c’est aussi parce que je veux que mon CV reflète qui je suis, avec toute ma complexité… parce que ce ne sera pas mes diplômes qui parleront pour moi. Ça m’a parfois joué des tours mais j’apprends doucement à lâcher du lest.

Est-ce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas pu faire à cause du manque de diplôme ?

Par chance, le journalisme est un milieu de réseau, d’image et de talent. Je ne suis pas sûre d’en posséder ne serait-ce qu’un mais je sais que je peux postuler à n’importe quoi tant que je peux prouver par mes publications et mon enthousiasme que je suis capable de relever le défi. Récemment, j’ai postulé à une annonce dans le journalisme qui stipulait que la recherche était basée sur une personne possédant un BAC+5... mon CV n’a choqué personne et personne n’a pensé à se moquer de moi (évidemment, ça aurait été autre chose il y a 10 ans quand je débutais seulement).

Enfant ou adolescente, étais tu déjà attirée par le métier que tu exerces maintenant ? Penses tu que ce que tu as vécu dans ton enfance-adolescence t’a aidé à avoir ensuite un parcours atypique, sans diplôme, ou pas du tout ?

Je voulais écrire plus que tout. Et je le cachais parce que j’en avais honte, parce que j’avais le sentiment que c’était prétentieux ou que ça ne voulait rien dire. J’étais une élève plutôt prometteuse, j’aurais pu faire des études. Mais j’ai toujours trouvé que les enseignements prenaient trop de temps pour arriver d’un point A à un point B. À la fac, je m’ennuyais. J’avais envie d’action, de faire des choses concrètes, de produire. Oui, je crois que mon expérience en tant qu’enfant et adolescente ont beaucoup joué dans ce parcours différent. J’aurais été malheureuse de me conformer à un chemin de vie qui n’était pas le mien. Ça a pris du temps, ça s’est fait petit à petit, mais j’ai aujourd’hui une vie qui me ressemble.

A l’école, est-ce que tu t’es sentie bien conseillée en terme d’orientation d’études ?

Non mais c’est parce que mes demandes étaient en décalage avec le formatage du système scolaire. J’ai toujours eu la chance de voir mes demandes de changement de parcours scolaire acceptées… On ne m’a jamais culpabilisée sur le fait que j’étais dilettante.

Pour toi, comment sont vus les autodidactes en France ?

Cela dépend du milieu social dans lequel on évolue. Je n’ai jamais été vraiment jugée à Paris, dans mon milieu de journalistes, pour mon parcours. Ma famille a plus de mal à accepter ces choix et ce mode de vie, où je ne suis pas sécurisée par un diplôme qui m’assurera de toujours me faire embaucher (en réalité, une illusion dans l’économie actuelle). J’imagine que les autodidactes ne sont pas toujours bien vus parce que je ne l’ai jamais vraiment bien vécu. Cette angoisse, cette honte parfois, elles doivent bien venir de quelque part.

Un mot de la fin ?

Je veux dire aux jeunes femmes qui hésiteraient à se lancer dans un parcours atypique de ne pas douter. J’aurais aimé qu’on me dise de m’accrocher, que c’était possible. C’est possible. Je suis partie de chez mes parents un peu avant de fêter mes 20 ans, sans avoir fait d’études, sans avoir d’argent et je suis devenue indépendante. Ça a pris du temps, beaucoup de travail et probablement un peu de chance, mais je suis devenue journaliste. J’ai réalisé mon rêve avec un parcours foutraque dont j’apprends encore à être fière. C’est possible.