Matthieu Longatte
Auteur, Comédien
Paris
Matthieu Longatte a deux Master : un en droit et l‘autre en sciences politiques. Mais c‘est dans l‘écriture et sur scène qu‘il trouve son bonheur. Il commence jeune sur scène avec l‘improvisation théatrale, joue dans des films indépendants primés en festivals puis se lance dans son projet "Le Bonjour Tristesse" en 2014. Son parcours scolaire lui permet d‘utiliser ses connaissances juridiques acquises à bon escient, un vrai plus pour s‘exprimer sur ses sujets favoris : la politique et les injustices. Il joue actuellement son premier seul en scène "État des gueux" à guichets fermés depuis Octobre 2018. Retour sur le parcours d‘un artiste libre.
Salut Matthieu, tu es auteur, comédien, tu as créé ta boîte de production, tu joues sur scène, tu prépares une série, tu prépares également un EP de Rap. Tu as fait des études de Droit (entre autres ?). Pourrais tu te présenter ? Quel est ton parcours ?
Bonjour, je m’appelle Matthieu Longatte, j’ai 32 ans et je viens de Plaisir dans le 78. J’ai pas mal cumulé études/art/travail: j’ai passé un Bac ES puis j’ai fait un DUT tech de co puis deux Master, en droit et en Sciences politiques pour au final ne jamais chercher de travail dans ces domaines. J’ai commencé l’art avec l’improvisation théâtrale aux juniors de Trappes à 15 ans qui étaient une équipe championne de France de la catégorie. À 18 ans on a monté notre propre troupe et on a joué dans les cafés théâtres Parisiens jusqu’à ce France-Brésil 2006 où nous ne sommes pas venus à notre propre spectacle, ce qui scellera la fin de notre troupe. Je suis appelé en 2010 par un réalisateur indépendant, Djinn Carrénard qui veut réaliser son premier long métrage en guérilla avec 0 euros. Ce film guérilla sera sélectionné à Cannes et dans une dizaine de pays avant qu’on le sorte en Auto Prod et en auto distribution, ce qui aboutira à une avant première complète au Grand Rex et une tournée nationale soldée par le prix Louis Delluc du meilleur premier film en 2011. Je tourne dans quelques films Indé et décide de m’exercer à l’écriture pour sceller ma propre indépendance en lançant Bonjour Tristesse en 2014, chronique d’actualité acerbe où je vomis ma haine des politiques et des injustices, 100 épisodes ont été diffusés depuis. J’ai également écrit un One man show que je joue deux fois par semaine depuis Octobre 2018. Cette année je réalise une série sur la banlieue écrite l’année dernière et je prépare un album qui devrait sortir en 2020, et j’ai pas mal d’autres projets que je ne vais jamais faire parce que je fume trop. Sinon j’ai toujours bossé même si je déteste ça (l’été jusqu’à mes 20 ans puis toute l’année ensuite): à livrer, laver des piscines, garer des voitures, être vendeur Orange, surveillant au collège, juriste pour une boite de prod Indé... Bref le fait que je ne sois jamais à l’école m’a permis d’être diplômé tout en développant mes activités artistiques et en taffant pour faire de l’oseille afin d’être certain de ne pas être obligé de bosser toute ma vie pour quelqu‘un. En 2016, je me jure de ne plus jamais travailler de ma vie.
Tu t’es arrêté à quel niveau d’études au final ?
Au final j’ai un Bac + 2 de Commerce, un Master de Droit Privé, un Master de Science Politique et un Master 2 de Droit des Nouvelles Technologies. Et j’ai eu ma journée d’appel aussi, et surtout le permis B qui reste encore à ce jour mon diplôme le plus utile.
Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à avoir fait des études de Droit ?
Il n’y a pas d’aspect négatif à faire des études si on n‘est pas prédisposé au conditionnement: si on s’en sert uniquement pour ingérer des modes de pensée, des grilles d’analyse et de réflexion ainsi que de la connaissance, sans s’oublier soi, ce n’est que du plus. Le risque est de se laisser aspirer dans une aliénation qui fait tout analyser par le biais de ces nouveaux prismes. Parfois la connaissance académique vient remplacer le pragmatisme, l’esprit critique ou les grilles d’analyse personnelles au lieu de s’y additionner. Lorsque l’académisme vient se substituer aux qualités personnelle au lieu de les compléter, alors les études peuvent avoir un impact négatif définitif. Pour ma part les études m’ont surtout amené à découvrir des auteurs et des matières auxquels je ne me serais pas forcément intéressé. Mes études de commerce m’ont surtout aidé à comprendre la mentalité des gens et ainsi mieux appréhender leur mode de réflexion, ce qui doit m’aider désormais lorsque je suis confronté à eux. Le droit est certainement la chose la plus utile qui m’ait été donné d’apprendre car il a une application concrète et directe au quotidien, et la loi reste le levier de pression le plus efficace dans la vie lorsque les rapports de force sont particulièrement déséquilibrés (avec son patron, avec son propriétaire, avec la police…). L’indépendance artistique se noue toujours de façon juridique et avoir un bagage juridique me permet de mieux appréhender un contrat.
Quelle a été l‘importance de tes diplômes dans ton parcours ? Est-ce qu‘il y a des choses que tu n‘aurais pas pu faire sans tes diplômes ?
À part l’oseille que m’a permis de prendre le droit aux prud’hommes, ainsi que le fait que je sois peut être plus à même de lire et verrouiller un contrat qu’un autre artiste, les études ne m’ont pas servi à grand chose. Cela m’a cependant beaucoup aidé à comprendre l’étendue de ce que je ne voulais pas faire et à asseoir l’idée qu’il était hors de question que je travaille toute ma vie. Je m’y suis aussi fait des amis, ce qui n’est pas négligeable du tout. Avoir une vision juridique des choses est également utilise afin de dépersonnaliser les débats ou négociations car le droit est un prisme établi et relativement neutre. Je dirais que les études m’ont bien sûr nourri et dessiné mais elles n’ont pas fait de moi ce que je suis.
On peut avoir fait une école, mais quand même se sentir autodidacte en apprenant sur le terrain en dehors de l’enseignement, Est-ce que ça a été ton cas ?
Je me sens autodidacte dans le domaine artistique : j’ai appris le jeu d’acteur, l’écriture, le théâtre, la production et beaucoup d’autres choses sans jamais faire d’école. Et je sais que c’est un peu manichéen comme vision mais pour moi étude artistique c’est assez oxymorique car je vois l’art comme un prolongement de la vie et je trouve antipoétique et anti artistique d’apprendre la vie. Sans compter toutes ces écoles qui profitent des espoirs artistiques des gens pour leur racketter des milliers d’euros en échange d’enseignements au mieux inutiles et au pire stupides. Les écoles d’acteurs c’est quand même des mecs qui ont raté leur carrière et qui t’expliquent comment la réussir, je crois que ça vaut pas 5 000 euros par an.
Au final si c‘était à refaire, est ce que tu referais le même parcours scolaire ? Ou t’arrêterais tu plus tôt dans tes études pour directement apprendre sur le terrain ?
J’ai toujours passé mes journées dehors à ne rien foutre, à être dehors avec mes potes, à vivre… Même l’année de mon double Master j’étais moins de 6h par semaine à la fac donc je referais tout pile exactement la même chose ahah.
Enfant ou adolescent, étais tu déjà attiré par le métier que tu exerces maintenant ? Penses-tu que ce que tu as vécu dans ton enfance-adolescence t’a incité à poursuivre des études, ou pas du tout ?
J’ai toujours voulu ne pas travailler et l’art est ce que je préfère faire après ne rien faire. Donc oui j’ai été très jeune attiré par l’artistique qui, en plus de me passionner, représente un des moyens viables d’accéder à la retraite à 35 ans. Dans ma famille on était obligé de faire des études ou on payait un loyer donc vu le peu d’efforts que me demandaient les études, le calcul était vite fait. J’aime beaucoup la vie et j’ai toujours eu peur d’y perdre du temps, cela explique aussi en partie le fait que je ne voulais pas choisir : j’ai cumulé art, études et travail toute ma vie; mon but étant d’en foutre le moins possible dans les 2 derniers domaines tout en avançant dans chaque.
Pour toi, comment sont vus les autodidactes aujourd‘hui en France ?
Je ne sais pas si les autodidactes sont mal vus parce qu’on utilise ce terme essentiellement pour les gens qui ont déjà réussi à faire un métier de leurs talents personnels. J’ai l’impression plus globalement que les gens ont du mal à assimiler le fait que leurs qualités et leurs curiosités sont aussi des compétences qu’ils peuvent transformer en activité professionnelle… On s’axe rarement sur ses propres qualités naturelles pour se projeter dans le domaine scolaire et professionnel, alors que celui qui est passionné par un domaine depuis toujours y a certainement développé des compétences; qui sont déployables dans un environnement professionnel. On est un pays très académique qui ne fait confiance qu’à la formation institutionnelle et à l’expérience, cela n’aide pas les gens à comprendre que ce que l’on paye dans la vie c’est la rareté; peu importe d’où cette rareté émane. Vous avez des qualités particulièrement rares ? Vous avez certainement des compétences rares à faire valoir dans les domaines où ces qualités sont indispensables et des gens sont prêts à payer pour ça. Donc je dirais que ce sont les autodidactes en devenir qui sont parfois dans une forme d’auto censure à la croisée du manque de confiance en soi et du manque d’ouverture de notre société. La passion est pour moi le plus gros vecteur de compétence parce que c’est là où on est prêt à passer beaucoup de temps de façon très attentive et c’est donc là qu’on apprend le plus vite et pour les meilleures raisons. Les passionnés sont des gens sauvés, mais notre société empêche nombre d’entre eux de s’en rendre compte.
Un mot de la fin ?
Réfléchissez à ce que vous aimez faire à où vous placez naturellement votre temps libre depuis que vous êtes enfants, vous y avez certainement développé des talents que vous pouvez monétiser et ainsi vous éloigner de ce néo esclavagisme qu’est le salariat involontaire.