Eloi Ragot
Compositeur
Paris
Eloi est compositeur de musique autodidacte, surtout pour des films et des séries. Il a notamment composé la musique de la série La Trêve, actuellement sur Netflix. Nous l’avions rencontré lors de la Berlinale Talent au Festival de cinéma de Berlin en 2017 et nous avions de suite senti que nous étions sur une longueur d’onde commune. Nous sommes donc très contents de pouvoir recueillir son témoignage autour de la question des autodidactes et des diplômes en France. Son parcours nous inspire, de par ce qu’il a appris à faire seul mais aussi de par sa curiosité, ses voyages, ses collaborations sur ces dernières années et son exprit du « Learning by doing ».
Hello Eloi, tu es compositeur et tu produis la musique de plusieurs films, en ayant appris seul, pourrais tu te présenter ? Quel est ton parcours?
J’ai toujours fait de la musique depuis petit. Vers 10 ans j’ai trouvé la guitare de mon oncle dans le grenier de ma grand-mère, je lui ai demandé si je pouvais l’embarquer chez moi et j’ai appris ensuite la guitare seul avec les livrets de chants scouts de mon frère. Plus tard je me suis mis au piano aussi car on en avait un à la maison, puis au lycée j’ai joué dans des groupes de rock. À l’université j’ai pris quelques cours de trompette puis ai vite continué seul. J’ai joué dans diverses formations jazz et quelques années après cela j’ai été amené à composer pour un court-métrage, puis un autre et de fil en aiguille je suis passé à des projets plus conséquents comme récemment la série LA TRÊVE qui est maintenant sur Netflix !
À quel niveau d’études t’es tu arrêté ? Qu’est-ce qui t’a poussé à être autodidacte ?
Après le bac, j’ai fait des études d’ingénieur mécanique. Parce que mes parents m’y poussaient, parce qu’il faut avoir un « vrai » métier, parce c’était un job d’avenir et donc un bon moyen de gagner sa vie. Au bout de 2-3 ans d’école d’ingé, j’en pouvais plus des cours de de maths et de chimie alors je me suis intéressé à ce que je voudrais faire vraiment. J’ai voulu m’inscrire à l’école Louis Lumière mais ça a fortement clashé avec mes parents qui m’ont dit qu’ils ne financeraient pas ce genre d’études et que ça serait bête d’arrêter 2 ans avant mon diplôme. Je me suis laissé convaincre, j’ai donc fini mes études et commencé à travailler en tant qu’ingénieur. Ca m’a rendu très vite malheureux, c’était un univers ou je ne me sentais pas du tout à l’aise, autant dans le travail que dans les relations humaines. Je me suis donc mis rapidement à temps partiel et faisais de la musique à côté et puis j’ai finalement quitté ma boite et tenté l’aventure. Au fond, je pense que j’ai appris la musique en autodidacte car c’était le plus facile pour moi, j’apprends vite et suis quelqu’un d’assez solitaire, et puis j’ai fini par sentir le besoin d’essayer d’en faire mon métier car ça me trottait dans la tête depuis trop longtemps pour que ça soit juste une envie passagère.
Quels ont été les aspects positifs et les aspects négatifs que tu as pu rencontrer dans ton parcours, en tant qu’autodidacte ? Pour toi, quelles sont les qualités d’un autodidacte comparé à quelqu’un qui a suivi un parcours plus classique ?
En tant qu’autodidacte, je me suis remis très souvent en question. Je demandais si j’étais assez bon comparé aux musiciens qui sortaient d’écoles et me paraissaient tous être des virtuoses, je cherchais beaucoup à savoir si il ne fallait quand même pas que je fasse une école de musique pour apprendre de manière plus rigoureuse ce que j’avais appris par moi-même et pour avoir un diplôme qui serait reconnu par les potentielles personnes qui voudraient travailler avec moi. Le positif pour moi c’est clairement la flexibilité. J’ai choisi d’apprendre instinctivement ce qui me plaisait le plus. Je pense que du coup je n’ai pas vraiment à rechercher ce qui’ est le style musical qui me correspond car je ne sais faire que ça. Je n’ai pas passé des heures, des jours et des semaines à jouer et parfaire des pièces de Bach ou Beethoven puis appris à composer dans leur style mais j’ai improvisé et joué ma propre musique dès le début.
Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à ne pas avoir fait d’école dans ton domaine ?
Je pense qu’une école m’aurait finalement plutôt amené des contacts et des échanges avec d’autres musiciens. Donc ça m’aurait peut-être permis de travailler plus rapidement sur des projets plus professionnels. Mais en tant qu’autodidacte j’ai appris sur le tas, au fil des projets. Je crois énormément au « learning by doing ». La musique de film c’est avant tout un échange artistique entre des créateurs d’histoires et des musiciens et c’est très dur de théoriser ces échanges car chaque réalisateur et chaque compositeur ont leur propre sensibilité. Quand je me suis lancé dans la musique de film, il n’y avait pas beaucoup de cursus spécifiques à cela, maintenant oui, c’est en vogue.
Y a-t-il eu un événement marquant / un déclic / l’aide d’une personne (…), qui t’a permis de te lancer dans ce que tu fais aujourd’hui ?
À la base, c’est lors d’un échange erasmus avec mon école d’ingénieurs que j’ai rencontré une réalisatrice australienne avec qui j’ai sympathisé et qui m’a proposé par la suite de composer la musique de son court-métrage. Ca serait peut-être venu tout de même plus tard, mais à ce moment là je n’avais encore jamais pensé à la musique de film en tant que métier. J’ai adoré l’exercice et je me suis donc mis à contacter d’autres réalisateurs étudiants pour leur proposer mes services. 3-4 ans plus tard, j’avais composé pour plus de 30 court-métrages et j’ai profité du fait que ma femme avait trouvé un job dans une autre ville pour quitter mon boulot d’ingénieur et essayer de vivre de ma musique.
En tant qu’autodidacte, est-ce que tu as déjà eu la sensation de t’être lancé dans quelque chose de vertigineux/ambitieux, justement, pour pallier au manque de diplômes ?
Pour pallier au manque de diplôme non, mais ça a été et le reste quelque part encore vertigineux oui. J’ai longtemps eu cette boule au ventre de me dire que si ça ne marchait pas il me faudrait retrouver un boulot d’ingénieur et accepter que je ne suis pas assez doué pour la musique et qu’il me faut bien gagner assez pour les ambitions de vie et de famille que j’avais.
Est-ce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas pu faire à cause du manque de diplômes dans la musique ?
Non, franchement je ne vois pas. Je pense que dans certains domaines ils peuvent demander d’avoir un diplôme mais dans des domaines artistiques comme le cinéma ou la musique, je n’ai jamais entendu ça.
Enfant ou adolescent, étais tu déjà attiré par le métier que tu exerces maintenant ?
J’étais admiratif de musiciens mais comme on peut l’être quand on est adolescent, comme des idoles, je ne voyais pas ça comme un métier. Quand j’ai commencé à envisager ça de manière plus sérieuse, j’ai très vite entendu mes parents me dire qu’on ne vit pas de la musique, c’est bien d’avoir un métier et de garder la musique en tant que passion à côté. Indirectement c’est donc ce qui m’a amené à me former moi-même, d’une part car je n’ai pas été soutenu pour faire des études de musique, et puis parce que je m’y suis mis tard et n’avais plus le courage ou la patience de refaire tout un cursus d’études secondaires.
À l’école, est-ce que tu t’es senti bien conseillé en terme d’orientation d’études ?
Vers la 1ère ou Terminale, mes parents m’ont senti paumé car je n’osais pas leur dire que je ne me voyais pas ingénieur, j’ai toujours refoulé mes attirances vers le monde artistique. J’écoutais beaucoup de musique seul dans ma chambre, je dessinais beaucoup mais gardais la plupart de mes dessins pour moi, etc. J’ai donc rencontré une conseillère d’orientation mais qui n’a finalement fait que tester mes aptitudes dans beaucoup de domaines scolaires. Donc comme j’avais ce que j’appelle « le syndrome du bon élève », et spécialement fort en maths et physique, elle en a déduit qu’ingénieur serait bien pour moi. Elle n’a pas vraiment cherché à savoir ce que j’aimais au fond, je me rappelle avoir parlé de musique et elle en a déduit qu’ingénieur acousticien (qui travaille sur l’acoustique des bâtiments) serait bien pour moi... Ca m’a beaucoup énervé mais j’ai gardé ça pour moi. Je trouve qu’on est tellement jeune au lycée pour décider de ce qu’on veut faire, j’aime beaucoup cette tendance à faire une année de césure après le bac pour voyager et prendre du recul sur ses années lycée ou il se passe tellement de choses émotionnellement.
Pour toi, comment sont vus les autodidactes en France ?
Pas facile à dire car j’ai vécu les 10 dernières années à l’étranger (Berlin puis Bruxelles). J’ai toujours en tête que la France est très élitiste dans beaucoup de domaines et accorde beaucoup trop de valeur aux diplômes. Mais je ne suis pas sûr que ça soit si vrai que ça dans les domaines artistiques. J’ai rencontré pas mal d’autres autodidactes et il me semble que comme moi ils doutaient plus d’eux-mêmes que les autres pouvaient douter de leurs talents.
Un mot de la fin ?
À Berlin, quand je suis allé m’inscrire à une école de langue pour la première fois, ils m’ont demandé pas mal d’infos pour mon inscription dont ma profession. Quand j’ai répondu ingénieur, la nana était comme étonné et m’a dit « ah ouais ? Je vous imaginais plutôt artiste... ». C’est con mais je m’en souviens très bien car j’ai ressenti quelque chose d’indescriptible, comme si elle savait quelque chose que je savais pas et j’avais envie de dire à tout le monde « Ah, vous voyez ? Je devrais bien être artiste en fait ! ».