Elisa Bonnafous
Rédactrice, Photographe, Vidéaste
Paris
À 27 ans, Elisa Bonnafous est fondatrice d’un magazine, c’est par elle-même sur le terrain qu’elle apprend entre autres, le journalisme et l’édition. Touche à tout, elle est aussi vidéaste et photographe. Après avoir évolué dans le domaine du génie civil, c’est en tant qu’autodidacte qu’elle crée son média alliant ses passions : voyage, urbanisme et sociologie. Elle témoigne.
Hello Elisa. Tu as changé de voie pour te lancer dans la création de ton média, pourrais tu te présenter ? Quel est ton parcours ?
Bonjour ! J’ai 27 ans, je suis en train de monter un média qui s’appelle Voyage Chez Vous. Il s’agit d’un magazine papier qui mélange voyage, urbanisme et sociologie d’une part et d’une chaîne Youtube d’autre part. Je me suis lancée dans cette création malgré le fait que je n’ai pas de formation en journalisme, en photographie ou en édition. En fait, il s’agit d’une reconversion totale car j’ai un diplôme d’ingénieur en Génie Civil. J’ai travaillé pendant un an et demi dans ce secteur, mais je savais dès la sortie de mes études que ça ne m’irait pas. J’ai pris cette année pour réfléchir à ce que je voulais vraiment faire, j’ai créé un projet qui rassemble tout ce que j’aime faire depuis des années et j’ai démissionné pour me lancer.
À quel niveau d’études t’es tu arrêtée ? Qu’est ce qui t’a poussée à être autodidacte dans ton milieu ?
J’ai un diplôme d’ingénieur, ce qui correspond à un BAC+5, que j’ai mis sept ans à obtenir, et j’ai fait une formation complémentaire pendant mon année de salariat qui s’appelle un Mastère Spécialisé, qui correspond donc à un BAC+6, mais qui ne fait pas partie du format LMD universitaire. J’ai voulu me lancer en autodidacte dans la création de mon média pour plusieurs raisons. La première, c’est que j’en avais assez de poser mes fesses sur une chaise de cours après toutes ces années d’études. Je n’ai pas très bien vécu ces années, je ne comprenais pas ce qu’on attendait de moi et je ne supportais pas la pression des examens et des notes. Ça avait beaucoup affecté ma confiance en moi et j’avais peur de me retrouver dans cette même configuration en reprenant des études ou une formation. La deuxième raison, c’est qu’en observant mon passé et mon fonctionnement, je me suis rendue compte que j’avais besoin de me poser moi-même les questions pour trouver des réponses, apprendre et comprendre. Je n’ai pas l’impression que ça soit le fonctionnement de l’école” actuellement. Je voulais apprendre ce que j’avais besoin d’apprendre selon ma situation et non par rapport à un cadre établi pour convenir à des dizaines, voire centaines, d’individus. La troisième et dernière raison, c’est que j’avais prévu de partir vivre à l’étranger, donc je ne voulais pas d’accroche administrative en France sur ce sujet.
Quels sont les aspects positifs et négatifs que tu rencontres dans ton parcours, en tant qu’autodidacte ?
J’ai un peu de mal à répondre à ce genre de questions, un peu manichéenne. J’ai aussi un peu de mal à différencier ce qui vient de ma caractéristique d’autodidacte, du fait que ça soit une reconversion ou que je lance une entreprise. Tout est un peu lié dans ma situation j’ai l’impression. Je dirais que ce que j’aime dans le fait d’être autodidacte, c’est que je me sens libre d’aller dans la direction que je veux: je peux apprendre des nouvelles choses sur la photo, puis lire un livre de sociologie, puis faire un voyage… Je ne suis pas sure que ça soit un point positif, mais je sais que je suis aussi plus fière de moi quand j’apprends quelque chose par moi-même que quand on me donne les connaissances “à la becquée”. Ce qui m’est plus compliqué, c’est de commencer à appréhender un nouveau sujet, parce que je ne sais pas quelles sont les bases, par où commencer, mais en même temps ça me permet d’être peut-être plus originale que d’autres.
Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à ne pas avoir fait d’école de communication « reconnue »?
J’ai un peu l’impression d’enfoncer des portes ouvertes mais je dirais que les aspects positifs, c’est qu’on n’est pas formaté, il n’y a pas de schéma tout fait, on peut inventer ceux qui nous plaisent. Les aspects négatifs sont surement du côté du réseau professionnel, tu commences sans connaître personne et il faut se construire des relations.
Y a-t-il eu un événement marquant / un déclic / l’aide d’une personne (…), qui t’a permis de te lancer dans ce que tu fais aujourd’hui ?
Je pense que c’est un ensemble de choses qui m’a amené à me lancer. Déjà, c’est en partant en Erasmus à Budapest que je me suis rendue compte que c’était bien mes études qui ne me plaisaient pas, et pas seulement mon école, ou mes profs, ou les méthodes françaises d’apprentissage. Donc revenue de cette expérience, qui était géniale sur tous les autres points, j’avais commencé à faire le deuil du Génie Civil, mais je ne savais pas ce que je voulais faire pour autant. J’ai pris un an et demi un boulot pour me permettre d’avoir une première expérience professionnelle, d’obtenir mon indépendance financière, de me sentir en sécurité pour pouvoir m’écouter. La formation du Mastère Spécialisé m’a beaucoup aidée aussi, bien que c’était toujours en lien avec le Génie Civil. J’étais entourée de professionnels de tous les âges qui m’ont fait de très bons retours sur mes réflexions, mes comportements, mes arguments, ce qui m’a aidé à reprendre confiance en moi. J’ai aussi suivi des séances de sophrologie avec une thérapeute pendant cette année et demie. Cette expérience m’a permis de faire le deuil de mes années d’études, d’apprendre à écouter ce que je voulais faire - et non plus ce que je pensais qu’on attendait de moi - et de me débarasser de quelques chaînes qui me retenaient. Pour finir, j’ai la chance d’avoir un amoureux formidable qui ne veut que mon bonheur. Nous avons donc créé un projet de couple pour nous permettre de vivre correctement ensemble, avec les besoins et les envies de chacun, en incluant cette reconversion et ce lancement d’entreprise.
En tant qu’autodidacte, est-ce que tu as déjà eu la sensation de t’être lancée dans quelque chose de vertigineux/ambitieux, justement, pour palier au manque de diplômes ?
Je ne pense pas que ça soit lié au manque de diplômes. C’est comme quand les gens me disent que je suis courageuse de me lancer comme ça et là dedans. Pour moi, ce n’est pas du courage, c’est de la survie. Je ne voulais plus rentrer chez moi en pleurant tous les soirs, de frustration et de désespoir. Je pense que je me suis lancée dans quelque chose d’ambitieux parce que c’est qui je suis. J’ai de grandes idées, je suis convaincue que ces idées sont intéressantes et je suis une bosseuse. C’est surement couplé à ma naïveté, diront certains, optimisme diront d’autres. Je ne vois pas les limites tant que je ne les ai pas atteintes, et même là, une fois que je les identifie, je les surpasse si elles restent en travers de mes objectifs (ça a l’air simple dit comme ça, mais ça se fait souvent dans les pleurs). Et surtout, j’adore montrer aux gens que j’ai raison, alors quand on me dit que c’est un secteur bouché et que ce n’est pas là-dedans qu’il faut se lancer, ça ajoute de l’eau à mon moulin. Plus j’avance dans mon projet, plus je comprends les peurs des gens sur le fait que c’est un projet ambitieux, mais ce n’est pas le côté autodidacte qui me perturbe, c’est plutôt le fait que je sois seule sur le projet et que je prends conscience de mes limites et du temps limité pour faire l’ensemble des boulots que demande un média.
Est-ce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas pu faire à cause du manque de diplômes ?
Pour le moment, je ne me suis pas encore retrouvée face à une telle situation. Par contre, je me pose des fois la question de la carte de presse. Par exemple, là je suis en route pour Amsterdam où je vais faire des interviews dans la ville, de professionnels dans le cadre de musées par exemple, pour mon premier numéro papier. Et bien, je me demande si les personnes vont me demander un justificatif quelconque ou si le sujet ne sera même pas abordé. Je ne sais pas encore comment je vais réagir si on me demande une carte de presse, mais je sais qu’au fond de moi ça va un peu réveiller un petit syndrome de l’imposteur.
Enfant ou adolescente, étais tu déjà attirée par le métier que tu exerces maintenant ? Penses tu que ce que tu as vécu dans ton enfance-adolescence t’a aidée à avoir ensuite un parcours atypique, sans diplômes, ou pas du tout ?
J’ai crée ce projet en y mettant les constantes de ma vie : l’écriture, le voyage, la photographie, la rencontre avec les gens. J’écris pour mon plaisir depuis aussi loin que je me souviens. Je n’ai pas forcément écrit tous les jours de ma vie, mais c’est quelque chose qui m’aide à réfléchir, à me rassurer et qui est assez facile pour moi. J’ai assez souvent changé de forme d’écriture (journaux intimes, poèmes, articles de blogs...) mais la pratique est restée assez constante. J’ai commencé à prendre des photos quand j’étais au collège. J’étais une des premières de mon groupe de copains à avoir un appareil photo numérique à moi. Et c’était l’époque des Skyblogs, donc je testais des choses. Il y a encore quelques photos, en les revoyant aujourd’hui, qui ne sont pas si mal ! J’ai beaucoup déménagé dans ma vie, petite aussi (six déménagements avant mes dix-huit ans, quinze ou seize en tout), j’ai été habituée à prendre mes marques dans les lieux nouveaux et avec les personnes que je rencontre. Quand j’étais ado, lorsque je réfléchissais à une voie, le métier de journaliste scientifique est venu dans la conversation, parce que j’étais bonne en sciences mais aussi en français. A l’époque, j’avais du mal à me projeter là-dedans. D’un côté, je me dis que j’aurais peut-être gagné du temps et de l’énergie si j’avais suivi cette idée, mais d’un autre, je pense que si j’ai pris une autre décision à l’époque, c’est que je n’étais pas capable de voir quelque chose et que j’avais besoin d’apprendre certaines choses avant de revenir à quelque chose d’approchant.
À l’école, est ce que tu t’es sentie bien conseillée en terme d’orientation d’études ?
Franchement, je dirais que non. Je ne veux pas pointer du doigt, accuser de tous les maux les profs ou les conseillers d’orientation: j’ai ma part de responsabilité, mon contexte familial aussi, la société dans son ensemble de même. Je faisais partie des (très) bons élèves de ma classe jusqu’au milieu du lycée. C’est un avantage pour énormément de choses, mais ça veut aussi dire que les professeurs ne s’inquiètent pas pour toi, donc tu es presque un non-sujet. Fin primaire/début collège, je voulais être comédienne, jouer dans des pièces de théâtre et j’étais plutôt bonne, mais “tu es si bonne en cours, ça serait dommage de gâcher ça pour suivre une passion qui n’est pas un métier”. Au lycée, je suis naturellement allée en S, parce que j’étais toujours aussi forte en maths, physique et SVT, mais que je comprenais moins bien les demandes dans les matières littéraires - tout en continuant à avoir des notes très correctes - et puis, “tu es forte en maths, tout le monde n’a pas cette chance, tu vas très bien t’en sortir en S”. Et en terminale, une prof de maths, sûrement bien intentionnée, m’a dit “tu sais, il y a peu de filles en prépa maths, tu peux y aller et montrer que c’est possible”, cinquante ans de lutte féministe sur mes frêles épaules, la pression. En prépa maths, la pire année de ma vie, un jour j’ai craqué en khôlle d’anglais, la prof m’a dit un peu froidement “si vous n’êtes pas bien ici, il vaut mieux partir”, que j’ai pris comme un “vous êtes une incapable”, alors que c’était peut-être le meilleur conseil entendu jusqu’alors. En école d’ingénieur, ça a toujours été “cette année c’est dur, mais l’année prochaine, ça ira mieux”, qui fait qu’on continue à avancer sans se poser de question étant donné qu’on en n’a pas le temps.
Pour toi, comment sont vus les autodidactes en France ?
J’ai très longtemps cru moi-même qu’il fallait un diplôme pour avoir un emploi, comme j’ai longtemps cru qu’il fallait aller en S pour ne pas galérer dans la vie. Et ensuite je me suis rendu compte qu’on pouvait tout à fait apprendre les choses par nous-mêmes et que ça avait tout autant de valeur. Je crois que les autodidactes font un peu peur. Les gens ne savent pas les ranger dans une case, ils n’ont pas un nom de diplôme à mettre en face, ça demande plus d’engagement pour comprendre qui on a en face, ses compétences, ses appétences, son profil, car on n’a pas le package diplôme qui simplifie la lecture. Je pense aussi que cela fait peur parce qu’au fond, ça retourne l’autre dans son propre rapport à son diplôme, “pourquoi je me suis cassé la tête à faire des études alors que lui/elle fait le même métier que moi sans cette étape ? de quel droit ? Pourquoi n’as-tu pas fait de sacrifices comme moi ?”.
Un mot de la fin ?
Je vais profiter de l’occasion pour faire ma promo alors ! Je travaille actuellement au premier numéro de mon magazine papier, Voyage Chez Vous. Il s’agit un semestriel, un bel objet à mettre dans sa bibliothèque dont le but principal est de découvrir des villes au travers des gens qui sont dedans. Le premier numéro est sur le thème de l’eau et compare Amsterdam (Pays-Bas) et Valencia (Espagne). J’interview des spécialistes de différents domaines pour le côté analyse, et des gens au hasard des rues pour comprendre l’impact du thème dans la vie de tous les jours, sur un aspect surement plus émotionnel. Il sera en vente début 2020 ! En attendant, vous pouvez aller jeter un oeil sur mon site et ma chaîne Youtube pour avoir un aperçu de mon travail. J’aurais bien fini sur un conseil ou une phrase inspirante, mais je crois que le témoignage a cette valeur intrinsèquement.