Dora Moutot
journaliste, auteure
Paris
Dora Moutot est un profil atypique comme on aime les mettre en avant sur cette plateforme : elle a obtenu un Master, sans même avoir le Bac. Dora le dit elle-même, ce n’est finalement qu’une ligne sur le CV car au final elle a surtout appris toute seule: en étant curieuse, en se documentant avec les livres, notamment sur les bancs de la maladie et non pas de l’Université. Dora est en effet l’auteure du livre « A fleur de pet » que l’on n’ose plus présenter tant il a déjà fait parler de lui de par sa nécessité: premier livre sur la maladie des hyperballonés. Elle est également la fondatrice du compte féministe Instagram @tasjoui mettant en avant la sexualité féminine. On ne peut que la soutenir dans ces démarches importantes. Ce qu’on aime chez Dora c’est sa sincérité, son côté sans filtre qui nous permet de nous questionner nous-mêmes, toujours avec grande bienveillance, lorsqu’on la lit ou qu’on l’écoute parler. Dora Moutot fait partie de ces personnes importantes qui utilisent les réseaux sociaux à bon escient pour ouvrir le dialogue, les esprits et les cœurs. Elle se questionne tout en donnant beaucoup aux autres. Retour sur le parcours d’une battante, qui a su apprendre à sa manière, et qui a toujours soif de continuer à apprendre.
Hello Dora. Tu es journaliste et auteure autodidacte (entre autres). On te laisse te présenter ? Quel est ton parcours ?
Je m'appelle Dora Moutot, je suis journaliste, auteure, activiste, poète et influen-coeur! J'ai 32 ans et j'aime partager ma vulnérabilité et mes questionnements à travers ce que je produis. Je suis la créatrice de l'instagram @tasjoui qui parle de sexualité féminine et de féminisme, et je suis l'auteure d'un livre qui s'appelle "À fleur de pet, le premier livre sur la maladie des hyperballonés qui ont le microbiote à l'envers".
À quel niveau d’études t’es tu arrêtée ? Qu’est ce qui t’a poussée à être autodidacte dans ton milieu ? C’est un vrai choix ?
J'ai un parcours un peu étrange. J'ai arrêté l'école au milieu de mes années de lycée. Je n'ai pas le bac, j'ai été complexée de ça pendant longtemps comme si ça faisait de moi un « cas soc », une ratée. J'ai eu des gros problèmes de dépression en lien avec un climat familial compliqué quand j'étais adolescente et j'ai été hospitalisée plusieurs fois pour mes états d'âme, ce qui a contribué à totalement me faire décrocher de l'école. J'ai progressivement arrêté d'y aller, je n'avais plus envie. L'école ça n'était pas mon truc, je m'ennuyais constamment, tout le temps! Ça a été une grande souffrance. Je ne pensais jamais "comme il fallait", j'étais toujours "hors sujet". Ma mère a paniqué de ma déscolarisation, elle a essayé de me mettre dans des écoles alternatives comme l'école Steiner, l'école autogérée de Paris etc, mais je refusais tout cadre. C'est une longue histoire, mais je suis passée par le juge des enfants, et j'ai eu le droit de vivre seule bien avant ma majorité. Une fois seule, j'ai réussi à me recentrer et à reprendre des études sans le bac, j'ai fait stylisme dans une école privé. Puis j'ai continué, et j'ai fait des études de journalisme et communication de la mode en Angleterre. C'est absurde, j'ai un master sans avoir le bac. C'est possible. En réalité, la plupart des choses que j'ai apprise, je les ai apprise toute seule, en partageant des choses, à travers des blogs et en créant ou en rejoignant des communautés. Aujourd'hui, j'ai écrit un livre de patiente-experte sur le microbiote, un sujet de microbiologie et de santé, et j'ai tout appris par moi même, en lisant des livres et en écoutant ma maladie. Je ne suis pas une 100% autodidacte, dans le sens, ou j'ai quand même fait des études en court-circuitant le système, mais dans le fond, ce n'est qu'une ligne sur mon CV, les choses qui me servent aujourd'hui, je les ai juste apprises avec volonté et engagement dans la vie.
Quels sont les aspects positifs et négatifs que tu as rencontré ou que tu rencontres quotidiennement dans ton parcours, en tant qu’autodidacte ?
Je dirais que les choses que j'ai apprises en autodidacte, comme toutes mes connaissances autour de l'intestin, des bactéries et de la biologie, sont plus difficiles à "prouver", car je les ai apprises sur les bancs de la maladie, et non pas de l'université. Ça reste difficile d'avoir une légitimité malgré le fait d’avoir écrit un livre qui aide des milliers de malades et qui est célébré aujourd'hui par un bon nombre de médecins et de scientifiques. Le positif c'est que vu mon parcours, je sais que je suis en capacité de TOUT apprendre toute seule. Je sais qu'on peut être quelqu'un sans bac, on peut écrire pour Le Monde sans le bac, devenir rédactrice en chef et écrivain sans le bac. Si sans formation scientifique, je peux comprendre les réactions chimiques et enzymatiques de l'intestin, alors demain, si j'ai le temps et la motivation, je pourrai m'auto-éduquer sur les neurosciences, la physique ou l'astronomie par exemple. Je sais que rien n'est hors d'accès pour moi si je m'en donne le temps et les moyens. Et ça, wow, c'est hyper rassurant dans la vie!
Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à ne pas faire de grandes écoles / des études poussées ?
Je pense que l'école formate énormément la pensée. Elle nous empêche de voir plus grand que ce qu'on nous raconte possible. L'école n'accepte pas forcément les profils neuroatypiques, donc la société passe à coté d'un tas de gens absolument brillants qui ne rentrent pas dans les cases. On a terriblement besoin de ces gens là pour faire évoluer le monde et vous ne les trouverez pas souvent dans les écoles. Ceci dit, on peut aussi se servir de l'école pour accélérer son apprentissage et en faire ce qu'on veut. On peut aller à l'école sans même chercher à "valider ses acquis" et avoir le diplôme. On peut aller à l'école juste parce qu'on a un prof génial! On peut aller à l'école "pour soi"! Mais pour être honnête, j'ai aussi été de l'autre coté de la barrière. J'ai été redactrice chef adjointe chez Konbini et je recevais des centaines de CV. En tant qu'employeur, il est parfois plus simple de chercher "un bon soldat efficace", que quelqu'un avec des idées révolutionnaires qui travaille en pleine nuit....
En tant qu’autodidacte, est-ce que tu as (ou a eu) la sensation de te lancer dans la conception de quelque chose de vertigineux/ambitieux, justement, pour palier au manque de diplômes ?
Oui totalement! Quand je me suis dit "allez let's go, je vais comprendre pourquoi je suis malade si les médecins ne peuvent pas m'aider", j'ai acheté des dizaines de livres de biologie, gastroentérologie, microbiologie.... J'ai eu le tournis! Et puis peu à peu, peu à peu...avec patience, j'ai appris. C'est sûr que c'est plus dur quand personne ne vous tient la main et ne vous flique pour vous donner une note, mais la différence c'est que moi j'apprends pour moi et pour personne d'autre.
Est-ce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas pu faire à cause du manque de diplômes ?
Je n'ai pas pu faire l'université en France sans le bac, mais j'ai été à l'université en Angleterre. Je n'en ai pas souffert mais je ne sais même pas si aujourd'hui avec un master international, sans le bac, je pourrais ou ne pas aller à l'université en France si je le voulais. Aucune idée et pour l'instant, la question ne s'est pas posée. Mais par contre...j'ai été prof à la Sorbonne pour des LEA...ahaha
Enfant ou adolescente, étais tu déjà attirée par le(s) métier(s) que tu exerces maintenant ?
Enfant, j'écrivais beaucoup de poèmes.
Penses-tu que ce que tu as vécu dans ton enfance-adolescence t’a aidé à avoir ensuite un parcours atypique, sans diplôme, ou pas du tout ?
Oui, je crois que beaucoup de choses qui ont défini ma vie se sont déroulées dans mon enfance et mon adolescence. C'est étrange, déjà enfant, je savais que je n'aurais sans doute jamais le bac. Comme une intuition, une auto-prophétie, une peur, un truc qui me semblait insurmontable, un truc pas pour moi. J'ai détesté l'école de la république française, je me suis sentie rejetée et tout me semblait pénible, absurde et me coupait de ma joie. J'ai détesté qu'on veuille m'apprendre à penser ce que je devais penser, au lieu de m'aider à penser et à réfléchir tout court.
À l’école, est-ce que tu t’es sentie bien conseillée en terme d’orientation d’études ?
Pas du tout. Mais je ne crois pas à l'orientation si jeune. J'ai envie de dire que seulement maintenant à 32 ans, j'aimerais bien aller voir une conseillère d'orientation et que seulement maintenant, on pourrait avoir une discussion constructive et qu'elle pourrait sans doute m'aider à avancer pour peaufiner mon parcours. A 13 ou 14 ans...il faudrait d'abord peut etre juste commencer à penser à vivre.
Pour toi, comment sont vus les autodidactes en France ?
Ce pays est terrible pour les autodidactes. On n'a pas la culture américaine du "self made man". Les gens se définissent par leurs diplômes et leur métier comme des bons petits soldats du système. Une fois qu'on a un diplôme, c'est comme si on n'avait plus le droit de changer d'avis, d'évoluer, de vouloir devenir quelqu'un d'autre. Un autodidacte est doublement intelligent. Il sait ce qu'il a appris, mais il sait aussi apprendre. Et la clé dans un monde en évolution est de savoir apprendre, ce n'est pas de juste "savoir", car ce que tu sais aujourd'hui, ne sera plus valable demain. La France a besoin de changer de mentalité, il faut qu'au sein de la classe politique, et des hautes sphères, on mette en avant des exemples de gens avec des parcours différents, des parcours de VIES. C'est pour ça que votre docu et votre plateforme est hyper nécessaire.
Un mot de la fin ?
J'aimerais juste dire que malgré tout ce qu'on dit, il n‘y a pas de règles dans la vie. Si vous ne vous sentez pas capable d'apprendre seul, c'est OK aussi.