Christelle Gras
Réalisatrice
Montpellier / Paris
Christelle Gras a fait des études de psycho, de lettre et de tourisme. À 31 ans elle a tout plaqué pour se former
seule au métier de réalisatrice.
La plupart des écoles de cinéma en France arrêtent de former les gens passé l'âge de 30 ans. Mais Christelle, à elle seule est
un vent de liberté. Elle utilise justement cette contrainte a bon escient. Pas de formatage selon elle, plus de singularité à la clef. En 2017, son premier film Reset est sélectionné au festival d'Atlanta.
Elle réalise du cinéma de genre - double difficulté en étant autodidacte mais aussi une femme, dans ce milieu très masculin - depuis plusieurs années. Mais Christelle est pourtant bel et bien là, décidée à avoir sa place.
Elle témoigne.
Hello Christelle. Tu as été Assistante Sociale, pour finir autodidacte dans le cinéma de genre, pourrais-tu te présenter ? Quel est ton parcours ?
J’ai grandi au Grau-d’Agde, un village de pêcheurs que j’aime appeler mon Astoria. Il n’y avait pas grand-chose à faire. Il fallait être inventif. Dès le primaire, j’inventais des intrigues complètement dingues et je distribuais les rôles à mes potes. Notre lieu de vie était le décorum. On utilisait tout ce qui nous tombait sous la main pour alimenter l’histoire, improvisant des rebondissements incroyables, mais sans perdre de vue les bases que j’avais posées au départ. J’étais déjà control freak… Je garde un souvenir très clair de ces mises en scène grandeur nature, des sensations très fortes que ça nous procurait de jouer des personnages et d’inventer des histoires. Ce sont des souvenirs que je chéris, un terreau précieux dans lequel je pioche encore. Il y avait une autre échappatoire dans mon village : Un vidéo Club. Le Graal des trous paumés. Je suis devenue très tôt cinéphile, boulimique même. À 11 ans, je découvre Jaws et je me dis qu’ « un jour, je ferais des films ». La force de frappe du Cinéma. Comment une fiction pouvait provoquer une phobie chez des millions de gens ? Vous imaginez la puissance de cet Art ? Je suis devenue fan de requins depuis. Weirdo pour toujours. Le Cinéma fantastique et d’horreur, la Science-Fiction, le thriller avaient toute mon attention. Plus noir, plus fou, plus politique, plus subversif, plus profond, plus inventif, plus excitant, plus surprenant, plus vrai (ce n’est pas paradoxal). Mais voilà, les réalisateurs que j’admirais comme Spielberg (je l’appelle Papa), Hitchcock, Cronenberg, Carpenter, Kubrick, R. Scott, Tobe Hooper, Burton, McTiernan étaient bien trop brillants pour que je ne puisse m’imaginer faire le même métier qu’eux. Je ne serai jamais aussi douée. Le complexe du débutant. J’ai donc erré quelques années à la Fac, mon déni en bandoulière. En parallèle de mes études, j’étais bénévole et militante dans plusieurs associations. Et j’ai eu un déclic. Travailler dans le social a été la première évidence de ma vie. Je suis devenue assistante sociale par conviction à l’âge de 31 ans. Et je quitte le sud dans la foulée pour Paris. Un acte manqué probablement. Six ans après, éméchée avec mon ami sériephile Yohan Labrousse à une terrasse de café, on décide de créer une série fantastique. Ça nous a pris comme quand l’alcool vous fait croire que vous êtes un sacré champion dans la vie. Notre vision du monde scelle le contexte. Ce sera un drame post-apocalyptique nommé RESET. Dès lors, on s’est jeté à corps perdu dans ce projet. Des années qu’on devait l’attendre inconsciemment. On écrit un pilote de 50mn. Mais personne en France n’écouterait un journaliste et une assistante sociale sans réseau, sans expérience, sans tête d’affiche. Aucun producteur ne nous aiderait. Il nous fallait des preuves pour convaincre. On décide alors de récolter des fonds sur un site de crowdfunding et de tourner le pilote nous-mêmes. 25000€ récoltés grâce à notre communauté, le soutien de journalistes et quelques stratégies bien senties. Le cœur pugnace, on monte une boite de production. Et nous voilà, scénaristes, producteurs et réalisatrice pour ma part. Je travaillais comme assistante sociale à temps plein en parallèle. Living la vida loca. On parvient à rassembler une équipe de vikings. On obtient des autorisations de tournage improbables comme le toit d’un immeuble de 25 étages. Le casting se déroule dans un bar après un appel sur les réseaux sociaux et cineaste.org, quelques affiches dans les écoles de théâtre. On en tire le meilleur. Premier jour de tournage sous la pluie, beaucoup trop de plans à tourner, beaucoup trop de pression sur mes petites épaules de novice, mais je vais le réaliser ce pilote bordel. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante et à ma place. La post-production s’étire sur des mois. Et pendant ce temps, la vague du post-apo passe. Malgré de supers retours de Canal + et de l’adjointe de la fiction de France Télévision, Reset ne sera pas produit. 2 années pour boucler le pilote. Ça va très vite dans ce métier. Mais aucun regret. Nous sommes invités à Gérardmer pour parler des séries fantastiques en France. Le pilote est dans le catalogue de la video library de Série Mania, le seul projet indépendant. On est sélectionné dans des festivals aux Etats Unis comme celui d’Atlanta, sponsorisé par HBO. On gagne des prix. J’aurais co-écrit, réalisé et co-produit mon premier « film » à 37 ans. Les rêves n’ont pas de dates de péremption.
A quel niveau d’étude t’es-tu arrêtée ? Qu’est ce qui t’a poussée à être autodidacte dans le cinéma ?
Après mon diplôme d’assistante de service social, à 31 ans. J’avais fait déjà pas mal d’études (psycho, lettres, tourisme = nomadisme estudiantin) et je ne voulais pas me replonger dans ce contexte de travail dans lequel je ne me suis jamais sentie libre. Et quand bien même j’aurais voulu intégrer une école de cinéma, il y a des critères d’âge. C’est souvent 30 ans maximum. C’est étrange d’ailleurs. On s’arrête de vouloir apprendre et de rêver à 30 ans ? C’est très représentatif de l’enseignement… Et puis qui a les moyens aujourd’hui de faire une école de Cinéma ? Comment font les provinciaux issus de familles modestes pour s’installer à Paris ou dans d’autres métropoles ? Ça sera de plus en plus une nécessité de riches de faire des études. Je dirais que la classe sociale peut aussi faire de nous des autodidactes. Et pourtant, l’envie de faire du Cinéma m’est revenue comme un boomerang en pleine poire. Il fallait donc se retrousser les manches et apprendre sur le tas.
Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à ne pas avoir fait d’école de cinéma ?
Je dirais que ça peut éviter un certain formatage. Comment construire sa propre identité, son style, son inspiration, sa vision quand un établissement vous sert la même tambouille très codifiée depuis des années et qui ne prend pas compte votre individualité ? Surtout lorsqu’on est très jeune. C’est le principe de l’enseignement. Inculquer des savoirs génériques. J’ai du mal à placer la création là-dedans. Mais c’est un point de vue personnel. Il y a quelque chose de très fort à se construire seul. J’ai lu plusieurs livres sur l’écriture et le langage cinématographique, les mêmes qu’ils vous conseillent dans ces écoles, et d’autres que je n’aurais peut-être pas eu la curiosité de lire si j’avais fait des études. J’ai vu des milliers de films. La technique peut s’apprendre au contact des techniciens. Le talent, la créativité, l’intelligence, le courage, l’imagination, la résilience, la logique, la générosité, la malice ne s’apprennent pas à l’école. Je pense que tous les scénaristes et réalisateurs à succès qui sont sortis de ces écoles étaient déjà brillants avant même d’y entrer. Le seul point négatif en France, c’est de faire du genre et de ne pas suivre les codes. Et ça, on vous l’apprend dans les écoles de Cinéma...
Par rapport à ceux qui sont sortis de grandes écoles, est-ce que tu t’es sentie en décalage, à un moment donné de ta vie, ou, au contraire, pas du tout ?
J’ai vu bon nombre de courts et longs métrages d’anciens étudiants. Il y a des films très bien, mais globalement je trouve souvent la mise en scène assez classique, sans prise de risque. Les sujets et les traitements le sont tout autant. Mais c’est très subjectif en même temps. Je passe des semaines sur mes découpages. Je suis une férue de mise en scène. J’aime être inventive et donner du sens aux cadres, aux mouvements de caméra. C’est même obsessionnel. Ça me procure une adrénaline incroyable quand je commence à visualiser le corps du film. Je me demande si certains auteurs aiment vraiment la mise en scène. J’aime les sujets qui tâchent et fâchent. J’ai écrit un court nommé Espèces, un film fantastique qui traite de notre rapport désastreux aux autres espèces, de notre système de consommation. J’ai commencé le développement d’un long métrage avec Yohan, une comédie où la culture du Punk Rock sera au centre. En ce sens, je me sens parfois comme un ovni.
Y a-t-il eu un événement marquant / un déclic / l’aide d’une personne (…), qui t’a permis de te lancer dans ce que tu fais aujourd’hui ?
Si faire du Cinéma ne part pas de soi-même, alors ça s’appelle faire de l’argent. Comme tout Art, c’est précisément quelque chose de profond qui vient de l’intérieur. J’ai toujours eu ça en moi. L’envie de raconter des histoires, de les partager. L’envie de faire réfléchir aussi. Mais il faut avoir le cran de faire ça. Et seule, je ne sais pas si je me serais lancée à l’âge que j’avais. En ce sens, la folie commune de deux amis bourrés un soir de printemps a bien fait son œuvre. Et je n’oublierai jamais ceux qui nous ont permis de financer le pilote et l’équipe qui s’est donnée corps et âme sur mon premier projet. Sans eux, je n’aurais jamais trouvé ma vraie place dans ce triste monde.
En tant qu’autodidacte, est ce que tu as déjà eu la sensation de t’être lancée dans quelque chose de vertigineux/ambitieux, justement, pour pallier au manque de diplôme ?
Je me serais lancée tête bèche de la même façon avec des diplômes ahah. C’est plus une question d’exigence que l’on s’impose et de savoir où on veut aller et ce qu’on veut raconter. Reset est venu d’un coup de sang misanthropique. Et on savait que tourner un drame post-apocalyptique en plein Paris serait un véritable enfer. Mais c’était l’histoire qu’on voulait raconter et aucune autre à ce moment-là. Je me souviens des propos de l’assistant réal : « Vous ne vous êtes pas jetée à l’eau, vous avez plongé dans un océan infesté de requins ! ». Effectivement, il fallait être maso pour s’improviser scénaristes, producteurs et réalisatrice sur un pilote de 50mn tourné sur 10 décors, avec de nombreux figurants, du make up FX, des effets spéciaux, des cascades, des armes factices en plein Paname post-attentats, une mise en scène riche, tout ça en Mars. Est-ce que c’était raisonnable pour un premier projet, une première en tout ? Non. Mais j’ai l’impression qu’on apprend plus vite en mettant un grand coup dès le départ. Les erreurs sont plus grosses et les leçons plus grandes. On voit mieux ses forces aussi. Je bossais à temps plein comme assistante sociale. En parallèle, je faisais le découpage, j’écrivais et je m’occupais de la production avec Yohan le soir et les weekends, parfois en semaine entre midi et deux. J’avais l’impression de mourir plusieurs fois par jour. J’étais épuisée. J’ai obtenu une rupture de contrat conventionnelle là où je bossais deux mois avant le tournage. Je pensais être sauvée mais non… Porter toutes ces casquettes n’a pas été facile du tout. Heureusement que l’équipe était là. Sans elle, on aurait jamais pu aller jusqu’au bout d’un projet si ambitieux. Même si je ne suis pas totalement satisfaite du pilote (le serais-je un jour ?), je trouve qu’il a de la gueule pour des amateurs indépendants. Ça reste une grande fierté. Je suis encore surprise que de simples autodidactes comme nous aient réussi à monter un tel projet.
Est ce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas pu faire à cause du manque de diplômes ?
J’ai justement tout fait sans diplôme. Faire un film et l’inscrire en festival, participer à des concours de scénarios ou des appels à projets ne nécessite pas de diplôme. Trouver un producteur non plus. C’est un beau projet qu’il faut avoir, de l’expérience, du cran et de la conviction. C’est le manque d’ouverture qui nous empêche de faire des films différents en France. Je me demande aussi si les auteurs et réalisateurs sortis d’école n’obtiennent pas plus facilement de financements publics… Si oui, si c’est lié à leur talent ou au respect des codes.
Enfant ou adolescente, étais tu déjà attirée par le métier que tu exerces maintenant ? Penses-tu que ce que tu as vécu dans ton enfance-adolescence t’a aidé à avoir ensuite un parcours atypique, sans diplôme, ou pas du tout ?
Ce métier m’a attiré dès l’enfance. Le Cinéma était mon échappatoire. Je n’aimais pas le monde qui m’entourait et j’aimais le recréer à ma façon. Je dirais que ce j’ai vécu enfant et adolescente m’a plus causée ce parcours qu’aidée. Le chemin tortueux de ma vie est le résultat de blessures. Je n’ai pas eu confiance en moi pendant de nombreuses années et je n’étais pas soutenue par ma famille concernant mes ambitions artistiques. Il fallait trouver un emploi classique, se marier et avoir des enfants. Rien de tout ça ne me parlait. Et toutes les hésitations qui ont jalonné ma vie étaient issues de ce tiraillement entre raison et cœur, satisfaire la famille ou soi-même, rentrer dans le moule ou inventer sa vie. Mais tout ça a fait la personne et la réalisatrice que je suis aujourd’hui. Et je pioche beaucoup dans les bons et mauvais aspects de mon enfance et de mon adolescence pour écrire et filmer.
A l’école, est-ce que tu t’es sentie bien conseillée en terme d’orientation d’études ?
Je n’ai jamais vu de conseiller d’orientation, ni aucun professionnel avec qui parler à l’école. Je savais que j’aimais lire, écrire des histoires, regarder des films et que j’avais des aspirations artistiques. Mais ce qu’on nous rabâche à l’école, au sein de nos familles, c’est qu’artiste n’est pas un vrai métier, qu’il y a peu d’élus, que c’est inatteignable. De quoi vous couper l’herbe sous le pied et vous faire grandir de travers. Je crois que la pire erreur que peut faire l’enseignement, l’éducation, c’est de forcer quelqu’un à ne pas être lui-même.
Pour toi, comment sont vus les autodidactes en France ?
Aux Etats Unis ou en Asie, ils impressionnent. En France, on en a peur. Pas assez compétents ou dans les clous. Trop fous, indépendants et bornés. Manque de méthodes. Ingérables. Pas bankable. J’en ai entendu. Et imaginez si vous êtes une femme autodidacte. J’ai vu d’excellents réalisateurs autodidactes se faire remplacer à la mise en scène par des acteurs connus… Vous imaginez à quel point l’industrie du cinéma en France est gangrenée ? On marche sur la tête. Les autodidactes sont très combatifs. C’est bien plus dur de devenir bon dans son coin que de reproduire proprement ce qu’on nous a enseigné.
Un mot de la fin ?
Je devais tourner mon court métrage Espèces en Octobre dernier. Un projet d’adaptation en long envisagé. Un beau budget. Une équipe et des acteurs incroyables. La production a dû abandonner le projet 1 mois avant le tournage. La claque que j’ai prise a raisonné dans le cosmos. Tout le monde s’accordait à dire que ce film allait changer ma vie. Il a fallu retrouver la foi et reprendre le travail. Je cherche une nouvelle boite de production pour ce film que je ne lâcherai jamais. Je travaille sur un long avec Yohan, une comédie Punk Rock, et sur un autre court métrage, un drame familial cette fois. Et surtout, depuis quelques jours, j’attends la réponse de producteurs étrangers très emballés par un projet de série sur lequel un ami m’a embarqué comme scénariste. Ils cherchent une OTT. On croise les trèfles à 4 feuilles. « Ce qui distingue l’autodidacte de celui qui a fait des études, ce n’est pas l’ampleur des connaissances mais des degrés de vitalité et de confiance en soi». Kundera, mon Amour.