Amy Jones
Brodeuse et Illustratrice
Paris
Amy est américaine. Elle est venue en France pour expérimenter la vie quelques mois à Paris dans le cadre de ses études, mais n’a jamais pu en partir. Amy est restée à Paris et, après un parcours d’études classiques, elle s’est lancée toute seule dans la création de son studio et de sa marque « Studio Jonesie ». Le « What is meant to be will be » - ce qui doit arriver arrivera - est un état d’esprit très important pour elle, dans son travail, dans son mode de vie. Jamais découragée malgré ses remises en question, Amy est un exemple de ténacité. Retour sur le parcours d’une maker qui a la rage.
Hello Amy. Tu es arrivée en France pour créer ta marque ‘Studio Jonesie’. Une vraie ambition à l’américaine que tu as importée ici. Peux-tu te présenter ? Quel est ton parcours ?
Hello ! Alors, tout d’abord, trop chou que mon parcours vous intéresse, ça fait toujours plaisir d’entendre ça. Pour de vrai, je suis arrivée en France en début 2012 sans aucune ambition pour lancer ma marque mais à la base pour passer 6 mois fabuleux à Paris (en programme d’études). La vie fait que l’expérience était si fabuleuse qu’au bout de 2 mois, je ne voulais absolument pas partir. C’était environ 3 ans après mon arrivée en France que j’ai lancé ma marque. Avec un parcours atypique (arts visuels, management de l’art, commerce international, histoire de l’art, communication…), on peut facilement dire que je n’arrivais pas à trouver chaussure à mon pied.
A quel niveau d’études t’es-tu arrêtée ? Tu as fait une école en France qui n’a finalement rien à voir avec ce que tu as développé par la suite, toute seule, en te créant ta propre formation. Comment as-tu vécu le fait d’être autonome dans ta création ?
Je suis allée « jusqu’au bout » c’est-à-dire que j’ai fait mon Master 2 (en Communication avec spécialité digitale). On ne peut pas dire que cette formation n’a rien à voir avec ce que je fais aujourd’hui car je me sers de la communication avec ma marque, ça c’est sûr. Par contre tout ce qui est commerce, création de business plan, logistique, comptabilité, travail de veille… il fallait que j’apprenne sur le tas ! (Et j’en apprends toujours !) La broderie je l’ai appris à Chicago quand j’y étudiais l’Art de Fibre. Tout ce qui est typographie et illustrations, c’est venu après beaucoup de « practice practice practice » ! Le fait d’être autonome dans la création de ma marque n’a pas été facile, surtout au début. Quel statut choisir ? Quid du fonctionnement des charges et impôts en France ? Comment choisir ses prix ou trouver les bons fournisseurs ? Je n’avais jamais rien appris de tout cela. J’ai fait pas mal d’erreurs au début, mais j’ai appris au fur et à mesure. Et heureusement que mes proches ont été un aussi gros soutien et ils le sont encore aujourd’hui !
Tu as créé toi-même un nouveau style de Studio en France. Comment tu as senti l’accueil de ce projet ici ?
C’est marrant pour moi parce que la partie « Studio » de ma marque n’est arrivée qu’au bout de presque 2 ans après le lancement. Au début, ma marque était censée être de la broderie à la main et basta ! Mais la vie est faite de petites surprises et celle-ci en fait partie. Le studio est arrivé très naturellement. Je travaillais avec Margot (@youmakefashion) et Stéphanie (@mademoisellepierre.officiel) sur le My Home Tour Bordeaux pour de la broderie (normal, c’était mon métier), et Margot a flashé sur mon écriture lors que j’écrivais « Je suis Happy » au fond d’un petit bol en céramique. Nous avons commencé une très belle collaboration qui continue encore aujourd’hui. Et nous voilà maintenant 2 ans plus tard, j’ai une gamme de papeterie et je travaille régulièrement avec de jolies marques pour des typographies manuscrites, logos, co-branding... Enfin, vu que cela s’est fait si naturellement et doucement, avec la demande et l’offre, (et que j’ai été super bien accompagnée) je me suis sentie plutôt bien accueillie par ma communauté qui existait déjà grâce à la broderie.
Réputée pour son Empowerment, la mentalité Américaine t’a-t-elle aidé à te lancer toute seule?
On m’impose souvent cette théorie, c’est plutôt drôle. Que, vu que je suis américaine, j’ai cette mentalité Américaine dans le sang et le besoin de vivre « the American Dream », et c’est comme ça que j’ai pu lancer ma marque. Mais, quand j’y pense... je ne suis pas sûre que j’aurais pu faire la même chose aux Etats Unis. Mon pays est si grand, cela aurait été beaucoup plus difficile de me démarquer je pense ! Me voilà une américaine qui se lance à la broderie à Paris en 2015, il a suffi que je fasse quelques marchés de créateurs au début et j’ai pu créer un petit réseau de créateurs, qui ne fait que s’enrichir avec les années qui passent. Au bout d’un an, je faisais mon premier évent avec Le Slip Français et un mois plus tard, Adidas me contactait pour une collaboration... Paris quoi ! Pour moi, la mentalité « américaine » c’est justement ça, une mentalité ! Une envie de créer quelque chose, d’aller plus loin, de se donner à fond...sans avoir peur de se tromper. Mais cette mentalité n’est certainement pas restreinte aux américains. Je la vois tous les jours dans les personnes qui m’entourent. Anais et Alice des @GirlzPop_ par exemple, les deux filles les plus empowering que je connaisse… ou encore Anne-Charlotte Moreau (@chachoum), AKA LA personne à laquelle je me tourne quand j’ai besoin d’un booste créatif et une petite dose de « you can do this »… elles ont toutes les trois la « mentalité américaine ». Et ce n’est que le début de ma liste !
Quels ont été les aspects positifs et les aspects négatifs que tu as pu rencontrer dans ton parcours ?
Quand je cherchais une alternance en 2ème année de Master, je savais absolument que j’avais besoin de me tourner vers un métier créatif. Mais , étant donné que mon parcours était si éparpillé et que mon école de Master n’était dans aucun cas connu pour des métiers créatifs, j’ai eu du mal à avoir des entretiens. Et dans les entretiens que j’ai eus, c’était pour travailler en tant qu’assistante, chose qui ne me plaisait pas. Plus tard, quand je me suis retrouvée dans un boulot très axé technologie, je me suis demandée si je n’aurais pas dû prendre un boulot d’assistante car au moins j’aurais été plus proche des designers, du branding, de la créa.. Mais, comme je dis toujours « What is meant to be will be” – ce qui doit arriver arrivera – et au final le boulot que j’ai eu (grâce à mon profil en tant qu’américaine dans la communication), il était très focus tech, oui, mais il était aussi avec une super équipe qui a compris mon besoin d’aller plus loin. C’est grâce à cette agence que j’ai pu travailler pendant 3 ans en mi-temps et donc avec la sécurité d’un salaire mais le temps pour développer ma marque. Jusqu’au jour que ce n’était plus possible de faire les deux et j’ai pris le choix de me lancer à 100% sur Jonesie.
Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à ne pas avoir fait de grandes écoles en France (les parcours élitistes) ?
Un aspect positif – Je ne me suis jamais sentie guidée par autre chose que mes propres envies. Je me trompe peut-être, mais je pense qu’en sortant de ces grandes écoles, les étudiants essaient de lancer des projets qui ont le plus de sens niveau chiffres. Quand j’ai lancé ma marque, c’était purement par plaisir et l’envie de créer. Le fait que cela fonctionne encore 4 ans plus tard c’est vraiment le côté plus plus plus ! Un aspect négatif - Je pense que, mine de rien, si j’avais fait une de ces grandes écoles, j’aurais appris des choses (justement) côté chiffres qui auraient pu me servir, surtout à la création de ma marque. J’ai fait des choses au fur et à mesure, je me suis adaptée avec chaque erreur ou nouveau chemin, j’ai fait un business plan au bout de 3 ans et ce uniquement pour mon titre de séjour… j’arrive quand même là où je veux être, mais l’aventure a été surement plus longue et plus difficile que si j’avais appris certaines bases business à l’école.
Par rapport à ceux qui sont sortis de grandes écoles, est-ce que tu t’es senti en décalage, à un moment donné de ta vie, ou, au contraire, pas du tout ?
Pas vraiment. Mais je pense que c’est juste ma façon de voir les choses, et je suis heureuse de voir les choses de cette manière. Je fais mon mieux pour ne pas me comparer aux autres. Ce n’est pas toujours facile, mais je me dis que nous avons tous vécu des milliers de choses différentes qui font que nous sommes les personnes que nous sommes. Ce n’est pas parce qu’un tel a fait une super école qu’il aura forcément plus de succès ou de bonheur dans sa vie que moi ou quelqu’un d’autre. Pour moi c’est l’énergie que l’on met dans un projet qui compte le plus.
Y a-t-il eu un événement marquant / un déclic / l’aide d’une personne (…), qui t’a permis de te lancer dans ce que tu fais aujourd’hui ?
J’ai lancé ma marque dans le cadre de ma thèse que j’ai écrite en 2ème année de Master. C’est sûr que sans cette thèse, je n’aurais pas lancé ma marque aussi rapidement. J’avais rencontré une super prof qui nous avait beaucoup parlé de l’économie collaborative et c’est un concept qui me faisait vraiment vibrer. J’ai donc écrit ma thèse sur le financement participatif et les manières de communiquer autour d’une campagne de Crowdfunding. En parallèle, j’étais entourée de supers personnes qui adoraient déjà mes broderies et qui m’ont donné le courage de me dire OK GO.
En tant qu’autodidacte, est-ce que tu as déjà eu la sensation de t’être lancée dans quelque chose de vertigineux/ambitieux ? Tu nous disais justement que les studios et les agences ne te considéraient pas, alors que tu étais étudiante ?
J’avoue que dans un sens, oui. Etant donné que je n’arrivais pas à décrocher un poste ou même des entretiens dans des agences de design qui me plaisaient, je me suis sentie vraiment poussée par l’envie de montrer tout ce que je sais faire et transmettre. La seule option que j’ai eu c’était de me lancer dans mon propre projet. Parfois je me demande si aujourd’hui j’aurais les mêmes problèmes pour postuler dans une agence de création.
Enfant ou adolescente, étais-tu déjà attirée par le métier que tu exerces maintenant ?
Oui, absolument, sans aucune hésitation. J’ai toujours été dans l’art, dans la création. Au collège, avec mes copines, on jouait sans cesse avec nos « écritures » pour rigoler et faire les plus jolies écritures pour noter nos cours. Parfois en majuscules, en script, en style « ballon »… cela a fait que naturellement aujourd’hui je suis à l’aise avec le lettering. Au lycée je peignais, je faisais des collages. A l’université de la sculpture en bois, du tissage, sérigraphie… J’ai toujours beaucoup travaillé avec mes mains… la création était pour moi une des choses la plus importante dans ma vie. En plus de tout ça, ma mère m’a élevée avec ce sentiment de « Amy, you can do anything you set your mind to ». Alors avec cette énergie encrée dans moi, l’entrepreneuriat était forcément dans les cartes ou en tout cas une possibilité pour moi.
À l’école, aux States, avez-vous un système de conseil d’orientation d’études, comme nous avons en France ?
Déjà aux États-Unis, au lycée, nous ne sommes pas obligés de choisir une spécialité comme vous l’êtes. Je trouve ça plutôt bien. De ce que j’ai pu apprendre depuis que je suis en France, certains choix étaient « moins bien vus » que d’autres, ce qui est juste incroyable à mes yeux. Si 10 ans plus tard vous faisiez un comparatif de toutes les personnes, spécialités confondues, je pense qu’il y aurait des surprises par rapport à qui a le plus de succès (ou encore plus important) qui est le plus épanoui dans son travail, qu’importe la spécialité choisie quand vous aviez 17 ans. Aux États-Unis en l’occurrence, on suivait tous des parcours très similaires au lycée avec les cours « libres » où on pouvait faire plus d’art, musique, langues, sciences… au choix selon ce que l’on voulait. Et après, au moment de passer en « grandes études » une spécialité se forme forcément, mais la première année reste quand même assez globale pour que les gens puissent facilement changer de spécialité en cours de route s’ils le souhaitent. Après, moi j’ai fait tellement d’écoles différentes que cela a été encore plus particulier...
Pour toi, comment sont vus les autodidactes en France ?
Je ne veux pas faire de généralité sur l’avis de toute les français et leurs opinions des Autodidactes. Mais pour moi, c’est super impressionnant. Je ne parle pas forcément de moi-même (même si parfois je suis étonnée de tout ce que j’ai pu faire toute seule depuis 4 ans). Mais d’être autodidactes montre une certaine passion, persévérance, curiosité, adaptabilité, envie de se pousser plus loin que je trouve vraiment inspirant.
Un mot de la fin ?
Le fait d’être autodidacte est une certaine fierté pour moi. Mais dans aucun cas est-ce que je suis aboutie dans ce travail d’appréhension. Et c’est ça qui est encore mieux. La curiosité, l’inspiration, la créativité est très littéralement sans fin. Ce qui me plait le plus c’est que si un jour j’ai envie de tout plaquer et changer de chemin, lancer une nouvelle boite ou un gros projet, je me sens à l’aise et en confiance pour y arriver. Non pas parce que j’ai déjà fait ou que j’ai la « mentalité américaine » mais parce que je sais que je suis de plus en plus entourée des personnes inspirantes et très fortes. Au moment même de répondre à ces questions je suis dans une période de grosse remise en question pour trouver encore plus de moyens pour collaborer avec de nouvelles personnes, de faire plus de pièces uniques… pour pouvoir me lâcher de manière créative. Je veux continuer à toujours aller plus loin, d’apprendre plus, tout en gardant ce sentiment de What is Meant to Be Will Be qui est crucial pour moi. Alors je sens que c’est bien parti, et on verra par la suite !