Réalisateur, Scénariste

Clément Boyer-Dilolo

Réalisateur, Scénariste

Le Blanc-Mesnil

Clément Boyer-Dilolo - Les Autodidactes

Réalisateur et scénariste autodidacte, Clément Boyer-Dilolo s’est arrêté au Bac après deux tentatives de Fac en Lettres Modernes. C’est en regardant des masterclass et en se nourrissant de bonus de DVD, qu’il apprend toutes les étapes de fabrication d’un film. Co-fondateur d’une association audiovisuelle Effet Phi, il est actuellement lauréat de la bourse Beaumarchais-SACD pour un projet de série policière. Retour sur son parcours.

Hello Clément, tu es réalisateur, métier que tu as appris sur le terrain. On te laisse te présenter ? Quel est ton parcours ?

Bonjour, je m'appelle Clément Boyer-Dilolo, j'ai 31 ans, je suis originaire de Nice et vis dans le 93. J'ai d'abord eu un parcours comme musicien, pendant une dizaine d'années, dans divers groupes de rock à Nice et Paris, avant d'avoir un déclic qui m'a poussé à arrêter la scène. Je continue néanmoins la musique dans le cadre d'enregistrements, notamment pour des B.O de projets audiovisuels. Je suis aujourd'hui scénariste et réalisateur autodidacte, même si la réalisation est un exercice tout récent pour moi. J'ai, en effet, réalisé mon premier court-métrage Dead Chat en Octobre 2018, il s'agit d'un drame/fantastique sur un jeune homme qui, via un site de tchat, communique avec une jeune femme décédée. Il a été projeté en Mai 2019 au cinéma l'Archipel, à Paris. J'ai toujours beaucoup écrit mais la forme a évolué avec le temps : d'abord de la poésie durant mon adolescence, puis des nouvelles, ensuite des chansons et maintenant des films. J'envisage le tout comme un même «artisanat» car certes, les règles de mise en forme varient mais c'est l'envie de créer des histoires qui me gouverne.

À quel niveau d’études t’es tu arrêté ? Qu’est ce qui t’a poussé à être autodidacte dans l’audiovisuel ?

J'ai simplement un BAC L. J'ai fait deux tentatives de Fac de Lettres Modernes à Nice qui se sont révélées infructueuses ! Moi qui envisageais la Fac comme une libération après des années dans le secondaire un peu dirigistes, je m'y suis, en fait, senti très mal à l'aise, au point d'abandonner. J'y ai cependant rencontré ma compagne, ce qui prouve que la vie met parfois des éléments sur votre chemin qui ne sont pas ceux auxquels on s'attend ! C'est au contact de ma compagne Johanna (qui, elle a fait une école de cinéma, le CLCF) que j'ai commencé à devenir boulimique de films et de séries. Johanna a renforcé mon goût pour cet art, m'a aidé à développer mon esprit critique et m'a appris les bases de rédaction d'un scénario. J'ai alors beaucoup lu, beaucoup écouté de masterclass et vu énormément de bonus de DVD. Je voulais tout savoir sur la fabrication d'un film, quel que soit son genre ! Tout m’intéresse, de la production en passant par le casting ou l'écriture. Je n'ai, cela dit, jamais envisagé de me lancer dans des études de cinéma, étant donné que j'avais déjà plus de 25 ans quand cette passion s'est emparée de moi et que la plupart des écoles sont privées et donc onéreuses.

Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à ne pas avoir fait de formations aux métiers de l’audiovisuel ?

J'ai l'impression que ce qui est positif, c'est une plus grande liberté d'approche de la narration, de la réalisation, une vision moins technique et plus organique. Une école de cinéma peut vous donner d'excellentes bases mais je remarque que certaines personnes qui en sortent sont un peu désabusées ou formatées, comme si elles avaient conscience de la difficulté de la tâche qui les attend. Elles semblent parfois écrasées par le poids de réalisateurs ou de professeurs charismatiques rencontrés lors de leur parcours. Être autodidacte c'est sûrement être plus iconoclaste, avoir une approche plus décomplexée d'une pratique. C'est aussi le luxe de pouvoir choisir ses maîtres, ses influences. Rien ne m'empêche de me passionner pendant une année pour Terrence Malick et uniquement lui, si j'en ai envie ! Un cursus scolaire est, par essence, plus exhaustif et général. Les aspects négatifs ? Quand on est autodidacte, on est souvent isolé dans sa pratique. C'est là qu'une école de cinéma, surtout si on tombe dans une bonne promotion, peut vous aider à constituer le noyau de ce qui sera votre future équipe technique et artistique. On peut aisément y rencontrer son chef opérateur, sa scripte ou son monteur. Étant autodidacte et de nature réservée, il m'est parfois difficile de susciter la rencontre. Heureusement qu'il y a les réseaux sociaux, j'ai, par exemple, rencontré la directrice de casting avec qui je travaille, via Facebook ! En école, les rencontres se font naturellement, à force de se côtoyer. Je dirais que dans tous les cas, il faut être curieux !

Par rapport à ceux qui sont sortis de grandes écoles, est-ce que tu t’es senti en décalage, à un moment donné de ta vie, ou, au contraire, pas du tout ?

Mon point de vue a évolué très récemment sur cette question… Il y a encore quelques mois, j'aurais répondu que les étudiants qui sortent de ces écoles ont (et ce n'est pas illogique) un accès privilégié aux postes qualifiés, aux aides et diverses subventions qui existent dans le milieu du cinéma. On peut avoir l'impression qu'ils sont favorisés. Pour autant, en compagnie de Johanna, ma compagne et co-scénariste, nous venons d'être lauréats de la Bourse Beaumarchais-SACD pour un projet de série policière en Côte d'Ivoire. Cela constitue donc un bon contre-exemple : on peut obtenir ce genre d'aide sans avoir fait de cursus prestigieux, en étant scénariste autodidacte ! J'avais fait face à beaucoup de refus jusque là, de la part de différentes aides et institutions. On a envoyé ce dossier comme une bouteille à la mer et ça a fonctionné ! C'est un superbe encouragement et j'espère que ça pourra aider ceux qui se sentent isolés, voire rejetés, à y croire, rester curieux et bosser. Un jour, une belle surprise peut vous tomber dessus, même sans connaissance ou sans réseau !

Y a-t-il eu un événement marquant / un déclic / l’aide d’une personne (…), qui t’a permis de te lancer dans ce que tu fais aujourd’hui ?

J'en ai déjà parlé mais ma compagne m'a transmis cet amour du cinéma, de l'image et cette curiosité liée à la production d'un film. Elle m'a montré le début du chemin. Je me suis découvert une passion pour certains réalisateurs : Terrence Malick, Christopher Nolan, Denis Villeneuve, Darren Aronofsky ou A.G Iñárritu; certains genres de films : les thrillers fantastiques, les drames psychologiques ou la SF et j'ai voulu tout savoir là dessus, de l'écriture à la post-production. Internet est quand même vraiment génial pour ça, on peut parfois retrouver des scénarios originaux, des clichés de tournage, des making-of, c'est très inspirant ! Johanna, deux amis et moi, avons une association audiovisuelle Effet Phi qui nous permet de réunir notre matériel, nos compétences et de faire régulièrement des tournages. On apprend beaucoup en faisant ! Je dirais donc, pour répondre à ta question, que se lancer a été à la fois un processus personnel et collectif !

En tant qu’autodidacte, est ce que tu as déjà eu la sensation de t’être lancé dans quelque chose de vertigineux/ambitieux, justement, pour pallier au manque de diplômes ?

Être autodidacte peut parfois donner le sentiment d'être moins légitime qu'une personne diplômée et du coup, vous donner envie de vous attaquer à de grandes choses, pour prouver votre valeur ! Cela peut constituer une bonne énergie à utiliser pour rester motivé mais c'est rarement ce grand projet qui va se réaliser en premier. Le cinéma étant un art collectif, il faut privilégier les projets moins ambitieux mais qui, avec l'aide de vos amis ou collaborateurs et un peu de système D, peuvent être réalisés dès à présent ! Il faut garder dans un coin de votre tête ce grand projet à plusieurs millions d'euros qui vous fait rêver mais être conscient que c'est sûrement un film plus court et plus modeste qui se fera d'abord. Ce n'est d'ailleurs pas une mauvaise chose. Ce projet plus modeste va sûrement vous permettre de faire vos armes et d'apprendre par la pratique ! Pour parler d'un exemple personnel, le projet de série pour lequel nous venons d'obtenir la Bourse Beaumarchais date, en fait, de 2016... Trois ans d'attente donc, que nous avons mis à profit en écrivant et réalisant des court-métrages auto-produits qui nous ont, je l'espère, fait progresser. Je suis actuellement en train d'écrire un film sur la vie d'un grand poète mais c'est un projet ambitieux. J'ai conscience que je vais devoir l'accompagner longtemps...

Est ce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas pu faire à cause du manque de diplômes ?

J'ai l'impression que le milieu du cinéma n'est pas très « diplôme » ! Sur un tournage, je pense que des qualités comme la ponctualité, l'investissement et la bonne volonté vont être beaucoup plus remarquées qu'un éventuel cursus. Pour le scénario, je n'ai pas souvenir d'une porte fermée par manque de diplômes, par contre, un diplôme de la Fémis, de Louis Lumière ou autre, vous apporte un certain crédit. C'est une porte d'entrée pour être reçu et écouté par des producteurs ou des collaborateurs. Quand on est autodidacte, il faut parfois montrer patte blanche en étant très tenace...

Enfant ou adolescent, étais tu déjà attiré par le métier que tu exerces maintenant ? Penses-tu que ce que tu as vécu dans ton enfance-adolescence t’a aidé à avoir ensuite un parcours atypique, sans diplômes, ou pas du tout ?

Je n'ai jamais pensé devenir scénariste ou réalisateur ! Adolescent, j'étais attiré par les métiers de l'enseignement, je m'imaginais prof de lettres. Plus tard, ce fut la musique et je pense pouvoir dire que j'ai été semi-pro dans ce domaine. Mais un métier lié au cinéma, je n'y pensais pas… Pour ce qui est du côté atypique, disons que je me suis toujours senti différent et pendant assez longtemps, on me l'a fait sentir, aussi... Quand tu écris des poèmes alors que le reste de tes camarades a pour préoccupation la drague, avoir un scooter ou fumer, tu te sens à la marge ! Quand je suis arrivé en première L au lycée, j'ai eu l'impression d'être accueilli par d'autres marginaux et du coup, je ne l'étais plus. C'est la première fois que je me suis senti entouré. Je faisais partie d'un groupe et on me comprenait. M'assumer a été un long processus… Aujourd'hui, je suis entouré de personnes créatives que j'admire beaucoup, nous vivons dans une dynamique d'inspiration et de création très stimulante. Certains ont fait des études de cinéma et d'autres sont autodidactes. Ce qui compte c'est de former sa petite famille et d'avancer ensemble !

À l’école, est-ce que tu t’es senti bien conseillé en terme d’orientation d’études ?

Absolument pas ! Comme je l'ai dit, j'écrivais déjà, au collège, au lycée, à la Fac. J'avais même fait publier un de mes recueils. Personne n'a jamais voulu savoir ce que j'écrivais, aucun professeur, aucun conseiller. Avec le recul, je me dis que c'est en partie de ma faute mais je pense qu'à 16-17 ans, tu n'as pas forcément les armes. C'est aussi au personnel enseignant de s’intéresser aux élèves, de « détecter » ce genre de choses. Si un professeur m'avait encouragé, j'aurais pu aller loin dans mes études. Cela dit, ce décrochage scolaire fait partie de mon parcours et m'a forgé mentalement. Aujourd'hui, je n'ai aucun regret.

Pour toi, comment sont vus les autodidactes en France ?

Je dirais qu'ils sont bien vus, une fois qu'ils ont réussi… Je plaisante mais il y a une vraie hypocrisie autour du sujet. Dans le milieu de la musique, tu peux parfois entendre : « Jimi Hendrix était autodidacte et jouait sur une guitare de droitier alors qu'il était gaucher, tu te rends compte, quel génie ! ». C'est vrai mais il a surtout été contraint à cela. Il a commencé en imitant une guitare, avec un balai sur lequel il avait cloué des cordes, parce qu'une guitare de gaucher coûte beaucoup plus chère qu'une guitare de droitier ! Il a été moqué comme beaucoup de gens atypiques ou avant-gardistes. Même chose pour Jean-Michel Basquiat en peinture. Qui aurait ouvert sa galerie d'art à un jeune noir, gay et toxicomane ? Alors, il peignait dans la rue. Si toi, tu arrives sans cursus et avec des idées nouvelles, la réaction la plus courante en face, c'est la moquerie ou l'incompréhension. Il y a en France, une vraie fascination pour l'académisme et les institutions. Il n'y a qu'à voir comment l'ENA produit la plupart du personnel politique. Pourtant, quand quelqu'un casse le moule et réussit, on loue son courage et sa singularité… Être encouragé et soutenu est vital pour un autodidacte ! Il est temps de comprendre qu'il existe des intelligences différentes et qu'il leur faut des systèmes différents pour s'exprimer et contribuer à la société à leur manière. Un autodidacte peut amener énormément de choses à une entreprise ou une institution, justement parce qu'il va avoir un regard neuf sur ces entités.

Un mot de la fin ?

Tout d'abord, merci beaucoup de m'avoir offert cet espace d'expression ! Je me lance dans la production audiovisuelle, en me mettant à mon compte. Je vais réaliser des captations de spectacles et ré-investir l'argent dans des court-métrages, web séries, clips etc via ma société Yellow Ranch Films. C'est une nouvelle aventure qui me terrifie mais j'ai également très hâte de commencer ! Enfin, j'aimerais adresser un message aux autodidactes quel que soit leur domaine artistique : vous avez parfaitement le droit de vous exprimer, de travailler, créer et contribuer au monde, autant qu'une personne diplômée ! Votre chemin sera peut-être plus long et tortueux mais vous y apprendrez beaucoup et ferez de belles rencontres, donc ne vous dévalorisez pas ! Je crois intimement que tout ce qu'on traverse a du sens et qu'il y a une place pour chacun de nous !